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Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/156

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HISTOIRE DU PARNASSE

du pet. Armand Silvestre s’aperçoit peu à peu qu’il devient gênant dans le salon de Leconte de Lisle ; gêné lui-même, il disparaît. À un ami qui lui demande pourquoi on ne l’y voit plus, il répond, avec une certaine noblesse : « j’ai quitté la voie[1] ».

Il lui reste le salon de Théodore de Banville, forcément indulgent, puisqu’il est lui aussi chroniqueur au Gil-Blas. Plus tard, Silvestre pleurera Banville comme son maître, comme son père[2]. Malheureusement pour tous les deux, c’était un père bien faible, un maître trop indulgent. Glatigny en fait lui aussi la dangereuse expérience.


CHAPITRE III
Glatigny

Banville s’est vanté, discrètement, d’avoir tout appris à Glatigny, en un tour de main : sans dire ni le nom du poète inspirateur ni le titre du livre, il raconte qu’un jour, à Alençon, l’imprimeur Malassis remit au cabotin errant « un livre, le premier venu, de quelque poète contemporain. Glatigny qui, la veille, ne savait rien, après avoir lu ce livre quelconque savait tout… Du premier coup, il savait admirablement faire le vers[3] ». On a gravement discuté pour savoir si ce livre mystérieux était les Odes Funambulesques, ou Les Cariatides[4]. La vérité c’est que l’honneur de la formation de Glatigny revient, d’après l’intéressé, à Ronsard, à un tome dépareillé d’un vieux Ronsard découvert dans le grenier paternel : « ce garçon de village, dit Anatole France, dévorant les odes du prince des vieux rimeurs français, montre sa noble origide, et prouve qu’il était poète de race[5] ». Il faut admettre que, après Ronsard, Les Cariatides rendent quelques services à Glatigny, car le pauvre poète multiplie les preuves d’une reconnaissance exaltée

  1. Calmettes, p. 280, 281 ; Portraits, p. 282.
  2. Portraits, p. 76, 80.
  3. Banville, Mes Souvenirs, p. 397.
  4. Banville, Critiques, p. 118-119 ; Schaffer, Modern Language notes, 1926, XLI, 165.
  5. Anatole France, Le Génie latin, p. 379-380 ; cf. Coppée, Souvenirs d’un Parisien, p. 82.