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Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/209

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LE PARNASSE

Son grand-père est simple apothicaire à Dinan, mais déjà « taquine la Muse » : à la fête de la Fédération, au-dessus de l’autel de la Patrie, on peut lire de lui ce quatrain sur le serment civique :


Souviens-toi que le Dieu qui punit les parjures
Lit au fond de ton âme, y voit tes sentiments ;
Si, par hypocrisie ou par crainte tu jures,
Va loin de cet autel porter tes faux serments[1].


Le fils de ce brave citoyen, Charles-Guillaume-Jacques, né à Dinan en 1787, chirurgien sous-aide au corps de Bavière en 1813, à la grande armée en 1814, part après Waterloo pour l’île Bourbon où il épouse Mlle Elysée de Riscourt de Lanux. Il s’occupe toujours de médecine, mais il surveille aussi les terres de sa femme, ses plantations de canne à sucre, et s’en acquitte si bien qu’en 1837 il envoie à une seule maison du Havre cent mille livres de sucre[2]. C’est à Saint-Paul que notre poète naît le 22 octobre 1819, résumant en lui les énergies d’une forte race, affinée par la culture scientifique[3]. Lui-même se considère surtout comme un descendant des Wikings ; il écrit, pour sa biographe préférée la note suivante : « physiquement et moralement Leçon te de Lisle apparaît comme un type très représentatif de ces Normands campés aux frontières du pays celtique. Entre Racine et Corneille, c’est le normand Corneille qu’il préfère[4]. » Seulement, c’est un normand transplanté à l’île Bourbon : le milieu influe d’abord plus que la race, par sa beauté. Son île est belle ; son charme troublant a été traduit par deux de ses enfants, Marius et Ary Leblond, dans leurs romans coloniaux, et dans une étude dithyrambique où leur piété filiale chante toutes les splendeurs de leur petite patrie : « sous la colonnade mouvante de ses palmiers asiatiques, la Réunion est une île hellénique par l’architecture olympienne de ses montagnes, la vénusté de ses ciels, et l’érection de ses caps sur l’indigo marin…[5] ». Dans ce coin de paradis terrestre une race douce, tendre, rêveuse, perçoit la poésie par tous ses sens. On y devient si naturellement artiste que les frères Leblond invitent ceux qui veulent faire une cure de poésie à venir dans l’île aux poètes, dans l’île parnassienne.

  1. Bellier-Dumaine, La Famille et le nom de L. de Lisle, dans l’Hermine, 1899, p. 68 ;
    Barbé, Mercure de France, 16 juin 1910, p. 654.
  2. Bellier Dumaine, ibid., p. 69.
  3. Barbé, Mercure de France, 16 juin 1910, p. 654.
  4. Jean Dornis, préface des Contes en Prose, p. viii-ix.
  5. Introduction à L’Île de la Réunion, par Barquissau, etc., p. 3.