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Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/222

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HISTOIRE DU PARNASSE

ils cherchent à combler le creux profond qu’ils sentent dans leur cœur après en avoir chassé Jésus-Christ. Leconte de Lisle et ses amis fondent chez Thalès Bernard, et sous la direction de Louis Ménard, le Club Théagogique, qui a sa doctrine : la métempsychose astronomique ; la vie future se composerait d’une série de transmigrations d’étoile en étoile ; Leconte de Lisle y croit dur comme fer, pendant quelque temps[1]. Mais, en attendant, sur terre, a-t-il quelque chose qui ressemble à une religion pratique ? « Que faire ? Que devenir ? Où est la nuée lumineuse ? Il faut marcher au bonheur par le libre essor des passions virtuelles ». Il ajoute, pour qui ne comprendrait pas : « les génies heureux de l’Éden berceront entre leurs bras l’humanité outragée depuis longtemps, mais qui renaîtra jeune et belle au soleil de l’amour et de la liberté[2] ». Cela ressemble au socialisme de George Sand ; et en effet, le poète l’admire, mais il la dépasse : il collabore au journal fouriériste, La Démocratie pacifique, et à la revue La Phalange ; il répète les anathèmes de Fourier contre la Providence[3]. Ses amis sont affiliés à la Société des Droits de l’Homme ; avec eux, il prépare une révolution. Il tombe dans le socialisme prophétique ; il fait du Lamennais. Il écrit ses Paroles d’un Incroyant : il les adresse aux rois, aux riches. Dans La Démocratie pacifique, il pousse ce cri de guerre civile : « Voici qu’une autre guerre plus effrayante approche d’heure en heure, la guerre de celui qui n’a rien contre celui qui a tout… Ce serait une lutte affreuse, sans merci, sans remords, la plus implacable et la plus juste des guerres ! Prévenez-la… ou prenez garde. Beaucoup de nobles cœurs, dans les rangs privilégiés de la société présente, battent à l’unisson du cœur populaire… De belles et hardies intelligences aident puissamment au mouvement social. Il est donc possible qu’une rénovation pacifique et progressive mette bientôt fin aux douloureuses inquiétudes des masses. Mais si les avertissements étaient éternellement vains, si les souffrances du plus grand nombre devaient toujours frapper à des cœurs inexpugnables, nous tous qui confessons une même foi sociale, nous tous qui vivons de la vie des faibles et des déshérités, et que la lèpre du siècle n’a pas rongés, souvenons-nous que nos pères ont combattu

  1. P. Berthelot, Revue de Paris, Ier juin 1901, p. 581 ; sur Thalès Bernard, cf. Charavay, Revue, 1895, p. 231-232.
  2. M. A. Leblond, p. 170.
  3. Calmettes, p. 15 sqq. ; cf. Zyromski, Mélanges Lanson, p. 459, 466, 472-476.