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Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/246

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HISTOIRE DU PARNASSE

l’édition des Poèmes Antiques reste en magasin. Quand ses répétitions de grec ne lui donnent plus rien, Leconte de Lisle, pour pouvoir manger, va prendre une dizaine d’exemplaires chez son éditeur, et les vend aux bouquinistes du quai pour quelques sous[1] !

Le Parnasse, qui est alors une force diffuse, n’est pas encore concentré autour de lui, et le poète souffre de son isolement[2]. Mais on viendra peu à peu au Maître. À ses disciples il pourra enseigner par son exemple son plus grand précepte : le respect de l’art, le sacrifice de toute une vie à la beauté des vers. Pourtant on a prétendu que son influence avait été fâcheuse[3]. M. Léon Daudet, avec une verve incontestable, le présente ainsi au public : « homme glacial et féroce, dont les poèmes parfaits, marmoréens, congèlent l’eau dans les carafes, et procuraient, il y a quarante ans, un plaisir polaire à pas mal d’ours blancs rôdant sur les flancs du Parnasse[4] ». Huysmans, plus modéré de forme, est aussi dur au fond ; il le traite avec l’admiration dédaigneuse qu’il professe pour Théophile Gautier : « aucune des variations de ces parfaits instrumentistes ne pouvait plus l’extasier, car aucune n’était ductile au rêve[5] ». Mais qu’est-ce que nos songes et nos brumes, à côté de cette Grèce lumineuse ? Les Parnassiens ne cherchent pas à rêver dans la pénombre, mais à voir clair, pour mieux ciseler leurs vers. Par ses exemples d’abord, par ses préceptes ensuite, Leconte de Lisle leur enseigne à dissimuler sous une apparente impassibilité une sensibilité très vive. Ses poèmes inspirés de l’antiquité, en particulier les pièces imitées de Théocrite, vont orienter le Parnasse du côté des descriptions plastiques[6]. Combien de fois le Vase a-t-il été moulé et surmoulé par les apprentis poètes ?


Reçois, pasteur des boucs et des chèvres frugales.
Ce vase enduit de cire, aux deux anses égales,
Avec l’odeur du bois récemment ciselé.
Le long du bord serpente un lierre entremêlé
D’hélicryse aux fruits d’or. Une main ferme et fine
A sculpté ce beau corps de femme, œuvre divine[7].


  1. H. Houssaye, Le Temps, 13 décembre 1895.
  2. Flaubert, Correspondance, II, 364, 321-322, 326, 334.
  3. Vaudoyer, Nouvelles Littéraires, 5 juin 1926.
  4. Les Œuvres, p. 31.
  5. À Rebours, p. 251.
  6. Vianey, Les Sources, p. 317-357.
  7. Poèmes Antiques, p. 172.