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Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/260

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HISTOIRE DU PARNASSE

devant la fenêtre au soleil levant, d’où jaillissait moins de splendeur que de la page, etc.[1] ». D’autres, souffrant comme Leconte de Lisle du dessèchement de leur foi, ont fait plus que lire une traduction des livres sacrés de l’Inde ; ils sont partis en pèlerinage d’incroyant : « je m’en vais, dit Loti, dans cette Inde, berceau de la pensée humaine et de la prière, non plus comme jadis pour y faire escale frivole, mais, cette fois, pour y demander la paix aux dépositaires de la sagesse aryenne, les supplier qu’ils me donnent, à défaut de l’ineffable espoir chrétien qui s’est évanoui, au moins leur croyance, plus sévère, en une prolongation indéfinie des âmes ». Il pénètre jusqu’aux sages de Bénarès qui, tout en lui expliquant leurs mystères, lui conseillent de rester chrétien ; s’adressant à ses frères inconnus, Loti conclut : « ce qu’ils ont commencé de m’apprendre, je n’essayerai pourtant pas de le redire… Après un semblant d’initiation qui a duré si peu de jours, comment me croirais-je capable d’enseigner ? Le peu que je saurais dire ne saurait que déséquilibrer[2] ». C’est assez bien l’avis de Guizot comparant l’Orient au christianisme[3]. Ce n’est pas là l’état d’âme de Leconte de Lisle.

On a prétendu que le poète avait subi l’attraction du bouddhisme non pas directement, mais par l’intermédiaire de Schopenhauer. C’est peu probable, car, énumérant à Challemel-Lacour ses disciples de France, Schopenhauer ne prononce même pas le nom de Leconte de Lisle[4]. L’influence subie est autre : en 1846, Burnouf publie son Introduction à l’histoire du Bouddhisme : un monde nouveau est révélé au poète. Il avait déjà commencé l’histoire poétique de la religion grecque ; il va maintenant se plonger dans l’abîme bouddhique. Dès 1847, La Princesse inaugure la manière hindoue de Leconte de Lisle, désormais pris, pour longtemps, pour toujours peut-être, par l’Extrême Orient[5]. L’Inde va lui fournir la splendeur touffue, la beauté compliquée qui transformeront son matérialisme d’occidental en une œuvre d’art orientale. Seulement, il y a bien des réserves à faire : son pessimisme sombre paraît plus noir encore, par contraste, dans ce nouveau cadre brillant. Puis

  1. Latreille, Les Dernières années de L. de Lisle, p. 148.
  2. L’Inde (sans les Anglais), p. 5, 445, 454.
  3. Lettres de M. Guizot à sa Famille, p. 146-148.
  4. Challemel-Lacour, « Un Bouddhiste contemporains, R. D. D.-M., 15 mars 1870, p. 309-310.
  5. Dornis, préface des Contes en Prose, p. xxi ; cf. Welschinger, Débats du 16 août 1910.