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Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/287

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LE PARNASSE

laine lui-même a beau le trouver très dru : à l’occasion : il le range parmi ceux qu’il appelle les poètes magistrats, Hugo, Baudelaire, et Banville[1].

Peu à peu, le petit salon de Leconte de Lisle, au 8 du boulevard des Invalides, se peuple le samedi soir : les jeunes poètes qui forment le groupe parnassien, grimpent, quatre à quatre, les cinq étages, gais, rieurs, bruyants d’abord, puis retenus peu à peu par un sentiment de respect : « en vérité, dit Coppée, mes camarades et moi nous allions chez Leconte de Lisle comme les croyants vont à la Mecque[2] ! » Cette admiration cache-t-elle une ironie ? Maurice Barrès lui aussi raconte l’émotion avec laquelle il gravit « ce sommet redoutable, ce lieu sacré[3] ». C’est le Maître lui-même qui ouvre sa porte, aimable et imposant : « l’auteur des Érinnyes, dit Th. de Banville, ne manque pas au premier devoir du poète, qui est d’être beau. Sa tête a un aspect guerrier et dominateur… Le front, très haut, se gonfle au-dessus des yeux en deux bosses qui ne font guère défaut dans les têtes des hommes de génie, et ses yeux vifs, perçants, impérieux et spirituels, sont comme embusqués au fond de deux cavernes sombres… La bouche rouge, charnue, que surmonte un plan net, est ferme, fière et malicieuse, très accentuée d’un pli railleur qui la termine[4] ». Telle est la grande figure qui se dresse au seuil ; puis les jeunes gens vont s’incliner devant la maîtresse de la maison. Faut-il la reconnaître dans le portrait qu’en a esquissé M. Léon Daudet ? « femme d’aspect doux et timide, telle qu’une libellule épouvantée… Jamais je ne lui ai entendu dire un seul mot, je le jure, pas un seul mot. Les vers du maître l’avaient pétrifiée[5] ». Ce n’est pas l’impression des Parnassiens ; Theuriet constate que Mme de Lisle, petite et vive, reçoit avec beaucoup de bonne grâce[6]. Son mari est pour elle d’une délicatesse parfaite et protectrice. Il n’admet pas qu’un de leurs amis lui dédie un de ses romans, et livre ainsi le nom de sa femme au public[7]. Beaucoup plus âgé qu’elle, il la traite avec une douceur paternelle qui touche les jeunes parnassiens[8]. Mlle Jules Breton a traduit cette impression dans un

  1. Œuvres, V, 431.
  2. Mon Franc-Parler, III, 62-63.
  3. Dietz, Revue de Paris, Ier octobre 1928, p. 617.
  4. La Lanterne magique, p. 327-328 ; cf. Barrès, Amori, p. 261.
  5. Fantômes et Vivants, p. 107.
  6. Souvenirs, p. 246.
  7. Revue, 1925, p. 643.
  8. Coppée, ibid., p. 83.