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Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/29

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XIX
INTRODUCTION

de Lisle, six à Coppée, cinq à Heredia, trois et demie à Sully-Prudhomme, une et demie à Anatole France. Encore a-t-il sur sa modestie une note inestimable[1] !

Le Rapport est encore plus singulier que le Dictionnaire : après avoir nié que le Parnasse fût une école, après avoir isolé Leconte de Lisle de ses disciples tant qu’il a pu, il pousse la « præpotenza » jusqu’à dire des Parnassiens : « leur œuvre, qu’on incline à présenter comme collective, est, au contraire, infiniment éparse et diverse. Ceux-là nous ont lus étourdiment ou sont de mauvaise foi qui ont cru ou feint de croire le contraire ». Le mot que je souligne est maladroit, car il nous autorise à douter nous-mêmes de la bonne foi du rapporteur. Il altère la vérité quand il affirme que Leconte de Lisle ne s’est jamais considéré comme le directeur, pas même comme le conseiller des Parnassiens[2] ; que Heredia n’a jamais été l’élève de Leconte de Lisle : jonglant avec les mots, et avec la vérité, Mendès affirme à Monsieur le Ministre que Heredia s’est distingué de son maître « par l’énormité rayonnante et fulgurante, et partant personnelle, de la ressemblance même ; il est… non pas un docile à-côté, mais un triomphant au-delà de Leconte de Lisle[3] ». On voit bien que le Maître, dont la grandeur offusque l’auteur du Rapport, est mort depuis quelques années : Mendès n’eût jamais osé écrire cela du vivant de Leconte de Lisle, pas plus qu’il n’aurait eu l’imprudence de reproduire, du vivant de Théophile Gautier, la boutade de Faguet : que Théo manquerait d’idées[4].

Mendès écrit sa pseudohistoire avec ses vanités froissées, avec ses rancunes. Même la pauvre Nina de Callias, dont il avait été si souvent l’hôte, se voir diffamée dans la Maison de la Vieille, ce pamphlet qu’on a appelé justement une infamie, une immonde légende[5]. Toutes les fois que Mendès a un intérêt personnel ou une haine à satisfaire, il faut se défier des assertions du personnage. Ainsi on peut ne pas croire un traître mot de ce qu’il répond à Huret lui demandant si le Parnasse n’est pas une école, comme le Romantisme : « Mais nous n’avons seulement pas écrit une préface !… Le Parnasse est né d’un besoin de réaction contre le débraillé de la

  1. Dictionnaire, p. 189.
  2. Rapport, p. 114-115.
  3. Rapport, p. 116.
  4. Rapport, p. 104.
  5. Pierre Dufay, Le Mercure de France du Ier juin 1927, p. 324, 328.