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Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/309

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LE PARNASSE

que rêvait Delacroix… Vous disposez d’une fraîcheur de tons qui, avant vous, ne fut jamais atteinte[1] ». En recevant cet hommage lige, Leconte de Lisle, incliné par ce respect vers la pitié, dut modifier son mot, et penser, tout bas : — dans cette cruche il y a un commencement d’amphore.


CHAPITRE VIII
L’esthétique des Parnassiens

En somme, il y a au Parnasse assez de liberté pour que l’esthétique des Parnassiens ne soit pas tout à fait celle de Leconte de Lisle. Il se fait autour du Maître.une fermentation d’idées ; chacun apporte sa quote-part. Ces idées se mélangent ou se combattent : c’est la résultante de ces discussions qui compose la doctrine de l’École. Cette esthétique est surtout une arme de combat ; ce n’est pas celle que rêve Rodenbach : « au fond, dit-il, ce sont les poètes qui sont les meilleurs critiques ; eux seuls voient la raison profonde des choses ; …belle critique, de celles qui nous éclairent sur nous, et nous font voir plus loin en nous-mêmes[2] ». Il y a là un peu d’illusion ; Hésiode était plus près de la réalité quand il disait : — le potier porte envie au potier, et le chanteur au chanteur. — Tout en buvant, une tasse de thé chez Leconte de Lisle, ses adeptes y médisent des camarades absents. Les habitués du salon, dit Theuriet, constituent un milieu très intellectuel, imprégné de poésie, mais peu charitable[3]. Ce n’est pas à l’école du maître qu’ils peuvent apprendre l’indulgence. Au contraire, ils exagèrent, comme de raison, le défaut de leur chef. Plus tard, instruits par la vie et par leur propre expérience, ces jeunes intransigeants finiront par reconnaître que, l’art étant difficile, tout effort d’art est respectable. Plus tard, devenus plus équitables, ils se reprocheront leurs sévérités d’antan ; mais, à l’heure de leurs débuts, ils sont injustes, intolérants,

  1. Dornis, Essai, p. 13-14.
  2. Supplément littéraire du Figaro du 21 mars 1925.
  3. Souvenirs, p. 246.