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Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/311

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LE PARNASSE

chez Heredia[1]. En somme, chaque parnassien reste maître de forger son vers comme il l’entend, sur l’enclume romantique ou sur l’enclume classique ; l’École considère que la seule chose importante, c’est qu’il soit bien forgé, puis trempé et ciselé. Par une autre métaphore, Jean Aicard rend la même idée, à l’Académie : « cet art d’ajustage, de sertissage, cette habileté incomparable de l’ouvrier qui amenuise des bois légers, ou entaille un dur métal, et y pratique des mortaises imperceptibles auxquelles s’adaptent, avec une précision d’horlogerie, d’invisibles tenons, cette perfection de métier, grâce à quoi le versificateur, appelant à lui des rimes rares, imprévues, les accouple avec tant d’aisance qu’elles paraissent s’attirer d’elles-mêmes comme des colombes amoureuses, toute cette admirable façon d’écrire en vers, ce fut la loi du Parnasse[2] ».

Ce serait, du reste, diminuer la grandeur vraie de l’École que d’en faire un simple atelier d’ébénisterie poétique. Il y a, de la part de certains un effort pour créer une philosophie de l’Art. A. France lit une fois une étude que Leconte de Lisle juge digne de l’impression, et qu’il envoie, faute de mieux, à un journal de Bourbon ; en voici le passage essentiel : « puisque toutes les fictions que peut rêver l’esprit humain ont été conçues dès les âges les plus anciens, …puisque rien n’est nouveau sous le soleil intellectuel, si l’art ne veut pas s’immobiliser dans la redite des vieux symboles, il faut qu’il renonce au fond pour s’attacher exclusivement à la forme, …car les êtres et les choses changent, leurs apparences se modifient, et seul le spectacle de leur transformation peut suggérer à l’art des réalisations variées[3] ». Cette théorie n’entraîne pas de suite l’assentiment général : un des assistants, Calmettes très probablement, réfute Anatole France avec violence ; ami des personnalités dans les discussions, il conclut ainsi : « oui, si vraiment, ainsi que France vient de nous le faire entendre, la poésie n’est qu’une vibration de l’œil du poète réfléchie sur le papier ; si, pour en tirer les plus beaux effets, il suffit d’avoir dans la cervelle quelques plaques sensibles, alors Heredia, le plus étonnant réflecteur d’images, serait aussi le plus grand de nos poètes[4] ».

  1. Ibrovac, p. 455 ; cf. Adrien Mithouard, Le Tourment de l’Unité, p. 49-50.
  2. Discours de réception, le 23 décembre 1909.
  3. Calmettes, p. 216. C’est le seul fragment qui soit connu. Les recherches de MM. Foucque et Merle à la Réunion pour retrouver l’article de journal in extenso n’ont pas abouti.
  4. Calmettes, p. 216.