Ils veulent s’imposer au public et aux éditeurs. Ils s’indignent de voir que dans les revues où on daigne accepter leurs vers, on refuse de les payer : ainsi Sully Prudhomme et Coppée à la Revue Nationale et Étrangère : Charpentier propose d’abord à Coppée de le régler en monnaie de singe ; il lui offre pour honoraires un Musset petit format : il se résigne malaisément à promettre une somme[1]. C’est à ses frais que le Parnasse fait paraître par livraisons son premier recueil : Lemerre n’a pas confiance dans le succès. Les bailleurs de fonds, c’est X. de Ricard, et peut-être Mendès ; ils sont aussi les directeurs[2]. Ce n’est pas eux qui ont imaginé ce titre bizarre, « le Parnasse Contemporain, recueil de vers nouveaux » ; il est suggéré par Marty-Laveaux, et rejeté par Leconte de Lisle qui, avec raison, le trouve absurde ; mais les deux directeurs l’adoptent[3]. Visiblement ils veulent se donner de l’importance, et diminuer Leconte de Lisle. Xavier de Ricard prétend que le Parnasse n’existe que du jour où on se groupe, chez Lemerre, autour de la revue qu’il a fondée[4]. Pour affirmer son autorité, il s’octroie une livraison complète, seize pages ! quand les autres Parnassiens sont à la portion congrue. Il est, du reste, peu à peu évincé par le subtil Mendès, ainsi qu’en fait foi cette lettre à Baudelaire : « L. X. de Ricard, cet homme absurde et divin, fonde avec moi Le Parnasse Contemporain… J’ai fait mettre dehors tous les gens inutiles, et j’espère conduire Le Parnasse dans une voie sérieuse[5] ». Il est vite, à lui seul, toute la direction ; nul ne lui résiste : c’est, dit Bergerat, un grand entraîneur d’hommes ; il emploie, pour arriver à la dictature, « ses qualités de charmeur irrésistible et une autorité d’apôtre des belles-lettres à laquelle je n’ai jamais vu personne se soustraire, même Théodore de Banville, même Leconte de Lisle[6] ».