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Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/342

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HISTOIRE DU PARNASSE

CHAPITRE XI
Les grands disciples fidèles
Dierx

L’action de Leconte de Lisle est renforcée par les grands disciples qui représentent le mieux l’orthodoxie parnassienne, Dierx et Heredia. Dierx est un des plus attirants, par son talent, de loin, et, quand on l’approche, par le mystère de sa personne : grande silhouette timide et vêtue de noir, il étonne d’abord[1]. La surprise augmente quand ses jeunes confrères constatent qu’il n’y a pas de femme dans sa vie[2] ; c’est qu’il y a dans son âme une vieille douleur d’amour : pâle, grave, aux yeux pleins de nostalgie, il semble avoir des absences, parce que son cœur est retourné à l’île Bourbon, où il est né, où il a aimé, où, à vingt-deux ans, il a voulu revenir et risquer une demande en mariage[3]. Refusé, il revient à Paris vivre une vie assombrie à jamais, mais fidèle à un seul amour. La malchance s’acharne : sa famille est ruinée en 1868 par la crise sucrière aux colonies ; il ne peut plus continuer à préparer Centrale. Il lui faut gagner sa vie dans de petits métiers : en 1872, il est employé à la gare de Caen, au bureau des bagages, et gagne 1.700 francs par an. Mais il continue à écrire : c’est un point sensible où le sort peut encore le frapper : en 1878, sa mère essaye de le persuader qu’il doit renoncer à sa plume de poète, et revenir à l’île de la Réunion ; justement on y construit un chemin de fer, et il pourrait être embauché comme conducteur de chantier ! Malgré cette perspective, il voudrait revoir l’île enchanteresse ; pour payer la traversée, il vend trois ou quatre mille francs un Monticelli qu’il a eu pour cent francs, des Femmes s’ébattant sur une herbe ensoleillée. Ce voyage était son rêve suprême : c’est sa dernière déception ; arrivé à Bourbon, il est pris d’un anthrax qui ne le lâche pas pendant tout son séjour dans l’île[4]. Il revient à Paris, plus triste, plus

  1. R. de Gourmont, Promenades, V, p. 53.
  2. Noulet, Léon Dierx, p. 9. Sauf indication contraire, tous les détails de ce chapitre sur l’existence de Dierx sont tirés de ce livre.
  3. Villiers de l’Isle-Adam, Chez les Passants, p. 21.
  4. Calmettes, p. 153 ; Lepelletier, Verlaine, p. 302.