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Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/388

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HISTOIRE DU PARNASSE

Vraiment le Parnasse se tient bien. Il ne se contente pas de chanter : il agit. André Theuriet peut, en 1875, se promener à Buzenval sans rougir, car il y retrouve ses souvenirs de combattant[1]. Robuste, il supporte mieux les rigueurs de la campagne que Sully Prudhomme ; celui-ci, malgré sa santé frêle, s’est engagé dans la Mobile : le jour de Champigny, dit Anatole France, « je retrouvai Sully Prudhomme qui se plaignait d’une paralysie du rectum, et qui en paraissait fort affecté[2] ». France ferait mieux de ne pas ricaner : le noble poète est en train d’expier ses rêves trop généreux d’avant-guerre[3]. Il recherche les corvées les plus répugnantes, celles que tout le monde évite. Il fait, avec passion, avec foi, son métier de caporal instructeur ; il amasse dans son cœur, pour plus tard, une poésie virile, salubre[4]. Il conquiert l’admiration de Gambetta qui le citera au premier rang des poètes contemporains[5].

Les meilleurs des Parnassiens grandissent dans l’épreuve ; ils deviennent parfois plus clairvoyants que les spécialistes : voyageant en Allemagne, Coppée écrit à son ami Alphonse Lemerre, le 4 septembre 1873 : « nous sommes revenus à Kiel, à travers la rade… Nous avons vu là l’escadre prussienne au mouillage ; quelques beaux bâtiments déjà, mais d’énormes chantiers, des cales, des machines à mâter, etc., où nos milliards sont en train de se convertir en navires cuirassés… Un beau jour on sera tout surpris en Europe d’apprendre que la Prusse est devenue une grande puissance navale[6] ».

Pendant ce temps, Anatole France qui aiguisait contre le caporal Sully Prudhomme une ironie un peu grosse, obtenait d’un médecin, le 4 janvier 1871, le certificat suivant déclarant « M. France, garde de la ire Compagnie du 2e Bataillon…, impropre au service des compagnies de guerre pour infirmités physiques,… faiblesse de constitution[7] ». Nouvelle ironie ! Ruy le Subtil vivra jusqu’à quatrevingts ans !

Les embusqués sont généralement sévères pour les combattants ;

  1. Lettre inédite, publiée par Picard, dans Le Figaro du 7 mai 1927.
  2. Corday, Anatole France d’après ses Confidences, p. 52.
  3. Poésies, II, 222-224.
  4. C. Coquelin, Un Poète philosophe, dans Le Figaro du 30 janvier 1909 ; Sully-Prudhomme, Les Épaves, p. 123.
  5. C. Coquelin, ibid. ; Mme A. Daudet, Souvenirs, p. 78.
  6. Revue de Paris, 15 août 1911, p. 690.
  7. G. Girard, La Jeunesse, p. 197-198.