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Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/390

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HISTOIRE DU PARNASSE

chargera plus tard de rappeler l’histoire au grand public ; nul, ajoute-t-il, parmi les camarades, ne tenta de justifier le Maître[1].

On a peine à croire à un pareil abandon ; quoi ! Parmi ceux qui trouvaient sa pension du Ministère de l’instruction Publique simplement insuffisante, mais très avouable, nul ne l’a défendu, même son meilleur ami, Marras ? Et pourtant, en 1873, avenue d’Eylau, celui-ci plaidera contre Hugo pour Mirabeau touchant une pension de Louis XVI : le Roi, c’est le pays, et il est parfaitement honorable pour un français de recevoir l’argent de la France[2]. Les avocats viendront plus tard[3] ; mais en attendant Leconte de Lisle n’entend que des réquisitoires. Heredia proteste contre le fait, et contre la dissimulation du fait ; Leconte de Lisle répond, de façon peu heureuse : — quand on va aux latrines, est-ce qu’on s’en vante ? — C’est son unique argument : à Octave Lacroix, qui s’étonne également, il répond de même : — quand on va quelque part, est-ce qu’on est forcé de le dire ? — Non, réplique Lacroix, mais on y va pour laisser, et non pour prendre[4]. — Décidément, le système de défense de Leconte de Lisle ne vaut pas grand’chose. Théodore de Banville, qui a sur le cœur certaines formules intransigeantes de son vainqueur, ne se gêne pas pour dauber sur la façon dont Leconte de Lisle transige avec sa conscience[5]. Le vide se fait autour du grand homme diminué. À un curieux qui lui fait l’aumône de sa visite, le poète ouvre sa porte, et dit d’un ton de détresse : « Vous venez me voir encore… Merci ![6] » Il écrit à son cousin Foulques, le 2 octobre 1870, par ballon : « je vous jure que si les Prussiens pouvaient me tuer, ils me rendraient un suprême service… Je suis de garde aux remparts demain au Point du Jour. C’est là qu’on attend l’assaut : puissé-je y rester… Je suis si profondément malheureux que je me demande si je ne ferais pas mieux de me brûler la cervelle[7] ».

Puis il se ressaisit, et comprend qu’il y a mieux à faire : se redresser, remplir son devoir. Il crie sa rage renouvelée contre le second Empire. Il écrit au même parent : « j’ai la mort dans l’âme…

  1. Calmettes, p. 338-339.
  2. Id., p. 143-144.
  3. Pierre Brun, Revue Critique, 20 juin 1902,1,488-489 ; 11 août 1902, II, 115. — Flottes, Le poète Leconte de Lisle, p. 131-154, 191.
  4. Welschinger, Débats du 16 août 1910.
  5. Calmettes, p. 311.
  6. Id., p. 339.
  7. Dornis, Essai, p. 320.