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Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/408

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HISTOIRE DU PARNASSE

terons-nous entièrement la conclusion de la narratrice qui commémore l’étroite baie mansardée du sanctuaire où l’on disait de si belles choses : « la lueur, venant de cette petite fenêtre, devait avoir l’air, vue de loin, d’une pauvre petite lanterne sourde, et pourtant il en sortait un rayonnement intellectuel qui s’étendait sur la France, sur l’Europe, sur le monde entier, partout où il y a des fronts penchés sur des livres de poésie, et des cœurs vibrant aux beaux rythmes, aux belles rimes françaises[1] ». Peut-être y a-t-il dans cette opinion de jeunesse un peu trop d’enthousiasme, mais on a tellement reproché aux Parnassiens leur esprit de dénigrement que cette contre-partie est utile. Au Parnasse on savait aussi admirer. Ceux qui n’étaient pas admis dans la petite chapelle ont essayé d’en casser les vitraux. Laurent Tailhade est un de ces iconoclastes ; on connaît la lourdeur de son pavé : « Leconte de Lisle, ce bibliothécaire pasteur d’éléphants, menait boire son dernier troupeau de buffles, empaillait son ultime jaguar[2] ».

Sous ces images qui voudraient être outrageantes, il y a une part de vérité : peu à peu la première génération des Parnassiens, qui comprend les plus grands, cesse de venir régulièrement chez le Maître. Chacun, abandonnant le chemin du Parnasse, reprend sa liberté, suit ses goûts, son sentier. Notamment, le groupe des contemporains nés entre 1839 et 1844 va se disperser discrètement. Sully Prudhomme, gardant sa fidèle reconnaissance à Leconte de Lisle, n’apprécie pas beaucoup les familiarités des garçons-poètes qui volontiers lui tapent sur le ventre. Coppée, renonçant à cette élite intransigeante, va vers la foule et ses bruyants succès. Anatole France, poète par effort et prosateur né, renonce aux vers, et à l’estime de Leconte de Lisle. Verlaine est tout simplement mis à la porte, et Mallarmé, offusqué par la lumière trop claire qui vient de la Grèce, s’en va vers l’ombre… J’aurais pu intituler ce livre-ci : Grandeur et décadence.

D’après Xavier de Ricard, la dispersion du Parnasse commence dès 1871, le groupe de 1866 se désagrégeant peu à peu sous l’influence de forces contraires, lutte pour la vie, divergences d’idées, incompatibilités de caractères.


  1. Mme Demont-Breton, Les Maisons que j’ai connues, II, 149.
  2. Quelques Fantômes, p. 26.