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XXXV
INTRODUCTION

Antiquité Homérique : « c’est un pur caprice, sans raison d’être. Alfred de Vigny, semblable en ceci au plus grand nombre des poètescontemporains, n’avait aucun sens intuitif du caractère particulier des diverses antiquités[1] ». Voilà Vigny évincé de la poésie épique, et voici Lamartine excommunié, exécuté : avec des formes polies L. de Lisle lui refuse toute valeur artistique ; l’auteur de Jocelyn a commis un sacrilège envers son génie, et il en a été puni par ses disciples : « M. de Lamartine laissera derrière lui, comme une expiation, cette multitude d’esprits avortés, loquaces et stériles…, pleureurs selon la formule, cervelles liquéfiées et cœurs de pierre, misérable famille d’un père illustre[2] ».

Pour Musset, c’est une autre affaire : le poète des Nuits devient entre les mains de Leconte de Lisle une sorte de pièce anatomique qu’il dissèque devant ses élèves : cela rappelle le chef-d’œuvre de Rembrandt : c’est une nouvelle leçon d’anatomie. Il relève et commente les multiples erreurs du pauvre grand poète. Même le début de Rolla ne trouve pas grâce devant lui :


Regrettez-vous le temps où le ciel sur la terre Marchait et respirait dans un peuple de dieux, Où Vénus Astarté fille de l’onde amère…


Ici, le professeur interrompt sa lecture, et constate que Musset confond Astarté avec la belle Aphrodite Anadyomène, avec Vénus sortie des flots : « Astarté n’a rien à faire avec l’onde amère. Astarté est une divinité phénicienne, une déesse sidérale symbolisant la planète Vénus ; elle est fille du ciel et non de la mer ». Les Nuits elles-mêmes sont savamment coupées en petits morceaux. Dès le début de la Nuit de Mai, au second vers,


La fleur de l’églantier sent ses bourgeons éclore…


« Pathos botanique ! » s’écrie le dur maître, qui n’a que trop raison[3]. Les tirades de la Nuit d’Octobre lui semblent bien lyriques, et d’une correction insuffisante :


C’est ta jeunesse et tes charmes
Qui m’ont fait désespérer,
Et si je doute des larmes
C’est que je t’ai vu pleurer.


  1. Derniers poèmes, p. 265.
  2. Derniers poèmes, p. 249-250 ; cf. Calmettes, Leconte de Lisle et ses amis, p. 104 ; Barracand, Revue de Paris, Ier mars 1914.
  3. Calmettes, ibid., p. 104.