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Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/503

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LA PERSISTANCE DU PARNASSE

de ce que vous avez eu la bonté de m’en lire, et aussi l’éblouissement et la fatigue physique d’un cerveau de poète qui ne peut s’empêcher de se tendre à recomposer en esprit les vers récités qu’il éprouve l’impérieux besoin de voir[1] ».

Leconte de Lisle ne se fatiguait pas ainsi ; mais Heredia a une tout autre méthode d’enseignement, très personnelle, unique peut-être : non seulement il initie ses jeunes amis à sa technique, mais il leur révèle pour ainsi dire ses secrets de fabrication, avec une générosité qui étonne ceux qui en profitent, et qui lui paraît toute naturelle[2]. Il travaille devant ses élèves, leur soumettant ses scrupules de forme, sollicitant leurs conseils, se rendant à leurs observations. La page sur laquelle il vient d’écrire, et qui est déjà raturée, est lue tout haut par lui, avec habileté, avec un certain fracas[3]. La feuille circule ensuite de mains en mains : on saisit ainsi sa pensée en formation, on lui propose une variante, et parfois, quand le feuillet lui revient, il note une heureuse correction qu’on lui a suggérée[4]. Puis il fait la critique des poèmes parus d’un samedi à l’autre, et c’est un spectacle admirable, dit Barrès, de le voir saisir un morceau de poésie, le tourner, le retourner, le soupeser, l’ausculter, tantôt avec enthousiasme, et tantôt avec des risées méprisantes, s’il s’agit d’un absent[5] ; il est plus indulgent si le patient est là : « son enseignement était charmant, dit Léo Larguier ; il savait faire la blessure, s’il le fallait, mais il offrait tout de suite les baumes les plus adoucissants[6] ».

Tout cela, c’est de la clinique littéraire. Il y a aussi les grandes leçons ex professo, les développements sur l’esthétique du vers ; mais nul ne les a sténographiés, et nous n’en avons qu’une sorte de parodie ; faite avec talent, elle ne nous rend la réalité que comme une caricature représente un visage, avec des traits forcés : dans une page de sa nouvelle, Un Début dans les Lettres, M. Barracand nous transcrit une conférence de « Pimentel » à un débutant, sur la condensation littéraire. Supprimons tout ce qui est destiné à masquer le personnage, souvenirs de Rimbaud, détails pris à Leconte de Lisle, allusions à Coppée : il reste une tirade où Pimentel exprime

  1. Figaro du 5 janvier 1929.
  2. Hanotaux, Bulletin du Bibliophile, 1905, p. 456 ; Sur les chemins de l’Histoire, II, 279.
  3. Bergerat, Souvenirs, II, 161.
  4. H. de Régnier, Revue de France, 15 février 1926, p. 807.
  5. Officiel du 19 janvier 1907, p. 432.
  6. Nouvelles littéraires du 31 décembre 1927 ; cf. Huret, Enquête, p. 302-303.