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Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/85

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AVANT LE PARNASSE

effort d’art fut, dit-il, en 1863, « accueilli favorablement, et les vers de huit pieds groupés en quatrains devinrent pour quelque temps un sujet d’exercice parmi les jeunes poètes[1] ». En effet, dans son premier recueil de poésies, 1864-1869, Coppée a pris le mètre des Émaux dans huit pièces. Sully Prudhomme, dans ses deux premiers recueils de 1864 et de 1866, a écrit le tiers de ses poèmes en quatrains d’octosyllabes ; dans ses Stances, sur les vingt-deux pièces qui les composent, vingt sont coulées dans ce moule, et en particulier Le Vase brisé. Gautier a donc raison de parler de son influence. C’est le premier modèle des parnassiens. Il inaugure leur esthétique avec ses idées sur l’art pour l’art[2]. Il la complète avec sa doctrine de l’impassibilité ; dès 1863, au dîner Magny, il développe cette thèse, « qu’un homme ne doit se montrer affecté de rien, que cela est honteux et dégradant ; qu’il ne doit jamais laisser passer de la sensibilité dans ses œuvres ; que la sensibilité est un côté inférieur en art et en littérature : — Cette force, dit il, que j’ai, et qui m’a fait supprimer le cœur dans mes livres, c’est par le stoïcisme des muscles que j’y suis arrivé[3] ». Sans doute, ce n’est qu’un paradoxe « étincelant », inter pocula. Ceux qui le connaissent bien ne s’y laissent pas prendre[4]. Mais les autres croient que cette boutade est l’orthodoxie parnassienne, et quelques parnassiens jurent sur ce mot du maître. Ses idées se répandent parce que sa personne est aimée : quand le divin Théo, comme ils disent, est cloué dans son fauteuil d’impotent, Théodore de Banville est de ceux qui, presque tous les jours, vont à Neuilly « serrer la main de l’auguste mourant[5] ». Ils se pressent autour de lui, et proclament qu’ils sont ses débiteurs. Armand Silvestre lui doit son amour pour la rime riche[6]. Heredia a beau se réclamer de Leconte de Lisle ; Barbey d’Aurevilly le rattache bon gré mal gré à la suite de Théo : c’est, dit le connétable, un gautiériste[7]. Heredia protesterait peut-être si Leconte de Lisle était là, mais, à Douamenez, il dit à Jules Breton : « quand je lui fus présenté, j’étais très jeune, intimidé de me trouver en face de ce maître que j’admirais. Il me tutoya d’em-

  1. Rapport, p. 323.
  2. Marsan, La Bataille romantique, II, 208 sqq.
  3. Journal des Goncourt, II, 160.
  4. Baudelaire, L’Art romantique, p. 189.
  5. Armand Silvestre, Portraits, p. 30.
  6. Id., ibid., p. 117.
  7. Poésie et poètes, p. 313.