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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/102

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ma sœur.

Peu après notre installation, l’insurrection polonaise éclata ; et les échos en vinrent jusqu’à nous, notre terre étant située sur la frontière lithuanienne. La plupart de nos voisins, et principalement ceux qui étaient riches ou bien élevés, appartenaient au parti polonais : plusieurs furent sérieusement compromis, d’autres virent leurs biens confisqués ; presque tous furent contraints de payer des contributions de guerre. Plusieurs même quittèrent volontairement leurs terres et s’en allèrent à l’étranger. Pendant les années qui suivirent l’insurrection, il sembla que dans nos contrées la jeunesse eût disparu tout entière ; elle s’était en quelque sorte évaporée. Il ne restait que des enfants, des vieillards inoffensifs, effrayés, craignant jusqu’à leur ombre, et le monde des fonctionnaires, des marchands, et des petits propriétaires. La vie de campagne, dans ces conditions, n’offrait guère de ressources à une jeune fille, et rien du reste dans l’éducation d’Aniouta n’avait contribué à développer en elle des goûts champêtres. Elle n’aimait à se promener ni à pied, ni en voiture, ni en bateau ; chercher des champignons ne l’amusait pas davantage. Et, d’ailleurs, les plaisirs de ce genre étant toujours proposés par l’institutrice anglaise, il suffisait, grâce à l’antagonisme qui régnait entre elles, que l’une eût une idée, pour que l’autre la repoussât tout de suite avec aigreur. Aniouta, pendant tout un été, eut la passion du cheval ; mais ce fut, je crois, plutôt à l’imitation de l’héroïne de quelque roman qui l’occupait alors.