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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/138

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départ de l’institutrice.

entourage. Presque à chaque pas, et sans qu’elle s’en doute, elle se heurte à cette question : « Est-il convenable pour une demoiselle d’agir de telle ou telle sorte ? » Elle voudrait échapper à cette sphère étroite, mais tout ce qui n’est pas « comme il faut » ou « convenable » l’effraye.

Un jour, dans une promenade publique, elle fait la connaissance d’un jeune étudiant (tout héros de roman devait, à cette époque, être étudiant) ; ce jeune homme lui fait une grande impression, mais elle se conduit en jeune fille bien élevée, ne lui témoigne aucune sympathie, et leurs rapports se bornent à cette rencontre.

Lilenka en éprouve quelque chagrin, puis le calme revient : mais dans les rares occasions où, en rangeant les tiroirs de sa commode, elle retrouve parmi les petits souvenirs que les jeunes filles aiment à conserver, quelques bagatelles rappelant l’inoubliable soirée, elle referme le tiroir précipitamment et reste toute la journée sombre et pensive.

Une nuit, elle fait un rêve étrange : l’étudiant vient la voir et lui reproche de ne pas l’avoir suivi. Aux yeux de Lilenka se déroule alors, en songe, le tableau d’une vie honnête et laborieuse, avec un homme aimé, et des amis intelligents ; vie pleine d’un bonheur lumineux et chaud dans le présent, et de promesses pour l’avenir : « Vois, et repens-toi ; telle eût été notre vie ensemble », lui dit l’étudiant, et il disparaît. À son réveil, et sous l’impression de ce rêve, Lilenka se décide à rompre avec le souci des convenances.