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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/191

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sophie kovalewsky.

Zürich, rappelées ensuite par Ukase impérial sous l’inculpation de nihilisme, et qui en réalité n’avaient fait que poursuivre paisiblement leurs études, s’étaient mariées dans ces conditions, et après avoir quitté ainsi la maison paternelle, et s’être installées à l’Université, s’étaient séparées de leurs libérateurs, chacun des époux, d’un commun accord, gardant sa liberté.

Ces unions, à cause de leur but élevé, devinrent très populaires parmi les amies de Sophie et de sa sœur, et leur semblèrent infiniment supérieures aux vulgaires mariages d’inclination, qui ne recherchent que l’amour, c’est-à-dire une satisfaction égoïste. Pour cette jeunesse éprise d’idéal, le bonheur personnel devenait secondaire ; seul le dévouement à une cause impersonnelle paraissait noble et grand. Étudier, développer son intelligence, contribuer à soutenir dans sa pénible lutte contre l’obscurantisme cette patrie aimée avec exaltation, l’aider à conquérir la lumière et la liberté, telle était la tâche que se proposaient ces filles d’anciennes familles aristocratiques qu’on ne songeait à élever que pour en faire des femmes du monde. Les parents contrarièrent naturellement l’esprit d’indépendance et de révolte qu’ils sentaient percer au travers de la réserve énigmatique de leurs enfants : leur opposition fut hostile, souvent même inintelligente.

« Ah ! l’heureux temps ! disait parfois Sophie en parlant de cette période de sa vie. Dominées par les idées nouvelles, nous étions persuadées que les con-