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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/291

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sophie kovalewsky.

maintenant les défauts et les imperfections de ce travail fiévreusement hâtif nous sautèrent aux yeux. L’épreuve du remaniement commença.

Pendant tout l’hiver, Sophie fut incapable de songer à son grand travail pour le prix Bordin, bien que le concours fût déjà ouvert. Mittag-Leffler, qui sentait toujours une certaine responsabilité peser sur lui, et auquel l’importance de ce prix, au point de vue de l’avenir de Sophie, paraissait incontestable, se désespérait en la trouvant, à chacune de ses visites, installée dans son salon à faire de la tapisserie. Elle s’était passionnée pour la broderie, et semblable à l’héroïne du poème, Ingeborg, qui tissait dans la toile les exploits de son héros, elle brodait en laine et en soie ce drame qu’elle ne pouvait reproduire avec l’encre et la plume. Grâce au secours mécanique de son aiguille, ses pensées s’éclaircissaient dans son esprit, et une scène se déroulait après l’autre devant elle. De mon côté je faisais le même travail avec ma plume, et quand il se trouvait que plume et aiguille étaient d’accord, notre joie était assez vive pour contre-balancer les petites divergences auxquelles nous entraînait notre imagination. Ces divergences se présentèrent plus fréquemment en remaniant notre drame qu’au début, et le billet suivant de Sophie est une réponse à quelque dissentiment survenu entre nous dans un de ces moments de crise.

« Mon pauvre enfant, il a été si souvent déjà entre la vie et la mort ! que lui est-il encore arrivé ? As-tu été pleine de génie, ou tout le contraire ? Je crois