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sophie kovalewsky.

Mais pour nous qui lui tenions de près, le changement ne se faisait que trop sentir.

Elle avait perdu le goût de la société, de la nôtre comme de celle des étrangers, elle ne jouissait plus de ses loisirs, et ne trouvait un peu de calme que dans un travail acharné, désespéré. Elle reprit ses cours par devoir, mais sans aucun intérêt. Le travail littéraire donnait seul quelque soulagement à cette torture de la pensée, peut-être parce qu’il touchait à certains points intimes de sa vie, peut-être aussi parce que ses excès antérieurs de travail l’avaient trop éprouvée pour lui permettre de reprendre une occupation scientifique quelconque.

Elle remania d’abord complètement l’introduction de Væ victis, qui fut traduite du manuscrit russe et publiée en suédois. Elle y fait une description du réveil de la nature au printemps, après son long sommeil de l’hiver ; mais ce n’est pas la gloire du printemps qu’elle chante, comme la plupart de ceux qui le décrivent, c’est au contraire l’éloge de l’hiver, calme et apaisant, opposé au printemps qu’elle représente comme un être brutal et sensuel, qui n’éveille de grandes espérances que pour causer de grandes déceptions. Ce roman devait être en partie l’histoire de sa propre vie. Peu de femmes furent jamais plus fêtées et entourées, peu obtinrent d’aussi grands succès ; son roman devait cependant chanter le sort des vaincus, car, en dépit de ses triomphes, elle se considérait elle-même comme vaincue dans la lutte pour le bonheur, et ses sympathies furent tou-