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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/335

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sophie kovalewsky.

m’attrista ; plus tard, je compris qu’elle n’avait pas pu faire autrement.

En avril, cette même année 1890, elle fit un voyage en Russie. Elle avait quelque espoir d’être nommée académicien ordinaire à Pétersbourg ; c’eût été la situation la plus avantageuse qu’elle pût souhaiter : des appointements élevés, et aucune autre sujétion que celle de passer quelques mois de l’année à Pétersbourg ; c’était en outre la plus grande distinction donnée en Russie à un savant. Elle s’attacha à cet espoir, qui lui aurait donné la possibilité de réaliser son rêve le plus cher, celui de se fixer à Paris, en la délivrant de l’insupportable obligation d’habiter Stockholm. Elle me disait souvent pendant notre séjour à Paris : « Si l’on ne peut avoir ce que la vie a de meilleur, le bonheur du cœur, du moins l’existence devient-elle supportable si on vit dans un milieu intellectuel qui vous plaise. Mais être privée de tout, est intolérable. » Elle croyait alors ne pouvoir se réconcilier avec l’existence qu’à ce prix.

Je ne savais plus rien de ses projets, ni de ses intentions de voyage après son séjour à Pétersbourg, car elle était devenue mystérieuse pour tous, lorsque, au commencement de juin, en passant par Berlin pour me rendre en Suède avec mon mari, je la rencontrai inopinément dans cette ville, où elle était arrivée le jour même de Pétersbourg.

Je la trouvai dans cette disposition d’esprit surexcitée, qui pour des yeux étrangers pouvait passer pour une étincelante gaîté ; mais je la connaissais