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sophie kovalewsky.

chose de distingué. « Elle n’avait pas l’air d’une simple couturière. » Habillée soigneusement et proprement, elle tenait sa chambre non seulement avec ordre, mais encore avec une certaine prétention à l’élégance. Sur sa fenêtre fleurissaient plusieurs pots de géranium, des gravures à bon marché étaient pendues au mur, et sur une tablette, dans un coin de la chambre, on voyait de petits bibelots de porcelaine, objets de mon admiration enfantine, tels qu’un cygne au bec doré, et une petite pantoufle formée de boutons de roses.

Pour nous autres enfants, Marie Vassiliévna excitait encore un intérêt spécial à cause d’une histoire dont elle était l’héroïne : elle avait été belle et bien portante dans sa jeunesse, et appartenait comme serve à une vieille dame dont le fils était officier. Celui-ci vint une fois en congé et fit cadeau à Marie Vassiliévna de quelques pièces d’argent. Par malheur la vieille dame entra au même moment dans la chambre, et voyant cet argent dans les mains de la jeune fille demanda : « Où l’as-tu pris ? » Sur quoi, au lieu de répondre, Marie Vassiliévna, effrayée, avala l’argent.

Là-dessus elle se trouva mal et tomba à terre suffoquée ; elle resta longtemps malade, on la sauva à grand’peine, et elle perdit à jamais sa beauté et sa fraîcheur. La vieille dame mourut bientôt après cette aventure, et le jeune maître donna la liberté à Marie Vassiliévna.

Cette histoire d’argent avalé nous frappait vivement, et nous tourmentions la couturière pour nous la