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Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/39

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sophie kovalewsky.

Fékloucha », répondit tranquillement Marie Vassiliévna. Et son visage exsangue et pâle ne révélait pas la plus légère agitation.

La culpabilité de Fékloucha ne fit dès lors aucun doute pour Niania et les autres domestiques. La coupable fut enfermée, loin de tous, dans le cabinet noir.

« Reste là, petite misérable, sans boire ni manger, jusqu’à ce que tu reconnaisses la faute ! » dit Niania en tournant la clef dans le lourd cadenas.

Cet événement fit naturellement grand bruit dans la maison. Chacun, sous un prétexte quelconque, vint discuter avec Niania ce sujet palpitant. Notre chambre d’enfants eut toute la journée l’apparence d’un club. Fékloucha n’avait plus de père ; sa mère vivait au village, mais venait chez nous aider à la buanderie. Elle apprit bientôt ce qui se passait et accourut dans notre chambre, se répandant en plaintes et en protestations sur l’innocence de sa fille. Niania la calma.

« Ne fais pas tant de bruit, ma petite mère ! Nous saurons tantôt où ta fille cachait les objets volés », dit-elle d’un air sévère et avec un regard si significatif que la pauvre femme épouvantée s’en retourna bien vite chez elle.

L’opinion publique se prononçait décidément contre Fékloucha… « Si elle a volé les confitures, elle a aussi volé le reste », disait-on. L’indignation générale était d’autant plus grande, que le poids de ces mystérieuses disparitions avait lourdement pesé sur tous ; au fond du cœur chacun craignait d’être