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sophie kovalewsky.

« Le jardinier Philippe Matvéitch m’a donné un vieux pantalon à raccommoder, et c’est dans la poche de ce pantalon que se trouvait ce canif », dit-elle enfin avec importance.

Ce Philippe Matvéitch était Allemand et célibataire, il occupait une situation considérable dans l’aristocratie de notre domesticité, recevait de gros gages, et passait, dans la partie féminine de notre maison, pour un bel homme, bien qu’à le considérer de sang-froid il ne fût guère qu’un gros homme, pas jeune, assez déplaisant, et orné de lourds favoris carrés.

Cette étrange révélation plongea d’abord Niania dans la stupeur.

« Comment Philippe Matvéitch a-t-il pu prendre le canif des enfants ? demanda-t-elle déconcertée. Il n’entre pour ainsi dire jamais ici ; et d’ailleurs est-il vraisemblable qu’un homme comme Philippe Matvéitch vole les affaires des enfants ? »

Alexandra considéra Niania un instant en silence d’un œil moqueur : puis elle se pencha vers son oreille, et murmura quelques phrases dans lesquelles le nom de Marie Vassiliévna revenait souvent.

Un rayon de vérité commençait à pénétrer dans l’esprit de Niania.

« Ta, ta, ta, c’est comme cela ! murmura-t-elle en agitant les bras… Ah ! la mauvaise ! ah ! l’hypocrite ! attends ! nous t’exposerons au grand jour ! » s’écria-t-elle, débordant d’indignation.

Ainsi qu’on me le raconta plus tard, il paraît