Aller au contenu

Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/79

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
62
sophie kovalewsky.

Les deux adversaires les plus acharnés sont Marguerite Frantsovna et Aniouta ; la « guerre de Sept ans » règne sourdement entre elles et n’est guère interrompue que par des périodes de trêve armée.

Si les généralisations de l’oncle frappent par leur hardiesse, l’institutrice ne se distingue pas moins par l’application géniale de chacune de ces théories. Quelle qu’en soit l’abstraction scientifique et l’absence de rapport avec la vie journalière, elle y trouve, de la façon la plus inattendue et la plus originale, les arguments nécessaires pour critiquer la conduite d’Aniouta : tout le monde en lève les bras au ciel.

Aniouta n’est pas en reste, et répond avec une impertinence si méchante, que l’institutrice saute de sa place à table, et déclare qu’après une pareille insulte elle ne restera plus dans la maison. L’assistance éprouve un malaise général ; maman qui déteste les scènes et les histoires s’interpose comme médiatrice, et, après de longs pourparlers, la paix est rétablie.

Je me rappelle encore la tempête soulevée chez nous par deux articles de la Revue des Deux Mondes : l’un, sur l’unité des forces physiques, compte rendu d’une brochure de Helmholtz, l’autre sur des expériences de Claude Bernard, qui extirpait à des pigeons une parcelle de cerveau. Combien Helmholtz et Claude Bernard eussent été surpris de la pomme de discorde jetée par eux au milieu de cette paisible famille russe, perdue au fond du gouvernement de Witebsk !