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Page:Souvenirs et Reflexions.pdf/34

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La langue musicale pourra s’enrichir indéfiniment. Certes, elle est établie sur des bases immuables, elle repose sur des lois fondamentales comme on en trouve toujours à l’origine de toutes les manifestations de l’esprit humain. Ces lois obéissent à une autre loi, l’évolution, mais il appartenait aux génies suscités par la Providence de les fixer pour jamais. Mais j’appelle cela : « la révélation ».

Il me semble que la musique est apparue dans le temps le jour où l’humanité a senti que les mots lui manquaient pour exprimer l’inexprimable. Si l’au-delà n’existait pas, on ne voit pas bien à quelle fin ce langage divin aurait été donné aux pauvres humains si ce n’est pour les leurrer en leur laissant entrevoir des beautés à jamais insaisissables. Aussi n’ai-je jamais pu comprendre un musicien athée : c’est monstrueux. La preuve que l’art est véritablement divin c’est que les plus belles œuvres, dans tous les genres, ont été inspirées par l’idée religieuse. Je ne crois pas que cela soit contestable. J’ajoute que les plus grands artistes, les génies dont s’honore l’humanité ont été fidèles à un idéal de vertu : Michel Ange, Beethoven, Bach, Franck (Wagner ? trop d’orgueil).


Je voudrais pouvoir décrire l’état d’âme à la fois si angoissant, torturant et délicieux, où me plonge la musique — celle que j’aime —. Je devrais pouvoir le faire, j’ai tant éprouvé cette sensation aiguë jusqu’à la douleur, même tout enfant (je pourrais dire, surtout étant enfant). C’était alors comme une agonie d’aspirations vers le bonheur, une tension de tout être sensible, cordial, vers une chose qui nous sourit et se dérobe à la fois.

La musique, ce langage divin, traduit toute beauté, toute vérité, toute ardeur. L’objet de nos vœux éternels prend une forme ; il nous tend les bras et pourtant il est loin, très loin et nous ne l’atteindrons pas. C’est comme le seuil d’un jardin de délices où tout est lumière et parfums, un lieu de repos où nous savons que nous n’entrerons pas. Alors le cœur se serre, les yeux se voilent et la prière jaillit irrésistible, élévation de l’âme vers Dieu si près, si loin ! Oui la musique est bien le langage qui traduit les émotions de l’âme, leur communique une forme et donne au pauvre exilé du ciel le sentiment, hélas ! plus vif, de son isolement. Voir les âmes ! savoir qu’on a été créé pour s’unir avec elles et sentir en même temps que ces âmes, comme les soleils, errent dans le froid et les ténèbres, séparées irrévocablement les unes des autres en ce monde.

La contemplation de la nature ne me donne pas cette poignante sensation ; je ne trouve de sérénité que là. C’est pourquoi elle m’est si douce. Oh ! l’enchantement des matins dans la renaissance quoti-