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le serf.

sent également fait partie d’une bande de routiers. Lui-même n’en avait pris la direction que pour se livrer plus facilement à tous les écarts qu’entraînait la vie de bohémiens qu’ils menaient. Au bout d’un mois, les mauvaises recettes, les frais de route et les orgies avaient épuisé toutes les ressources de la troupe ; leurs chariots et les attelages furent saisis par un aubergiste de Troyes, pour payer ce qui lui était dû. Notre héros voulut en vain réclamer son cheval, sous prétexte qu’il n’appartenait point à la troupe ; l’aubergiste ne voulut rien entendre.

Il s’en prit alors au curé Chouard, le menaçant de le conduire devant les juges ; mais Chouard lui fit comprendre que s’il en venait à cette extrémité, il serait forcé de dire son nom, son état, son pays, et que l’on ne manquerait point de le faire conduire à Rillé, comme serf ayant fui le domaine du seigneur. Jehan sentit qu’il avait raison, et se tut.

Heureusement que le même jour un voyageur qui habitait l’auberge et avait vu son embarras vint le trouver.

— Je suis libraire, lui dit-il, et j’entretiens plus de cinquante copistes pour mes livres ; car, malgré le nouvel art venu d’Allemagne, les gens de naissance ou de la cour préféreront toujours une copie à un imprimé : ceux-ci, d’ailleurs, ont encore besoin d’écrivains pour les majuscules et les têtes de chapitre. Je sais que vous maniez la plume avec dextérité, car j’ai vu les affiches de vos spectacles. Suivez-moi, et vous