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au bord du lac.

Ils n’accordent leurs faveurs qu’aux maîtres ; pour nous, qu’ils livrent aux Romains, ce ne sont pas des dieux, mais des ennemis.

— Ainsi, reprit le jeune Celte, le monde entier n’existera désormais que pour être la bête de somme d’une seule ville. Oh ! pourquoi naître alors ? Pourquoi ne pas égorger par pitié l’enfant qui ouvre ses yeux à la lumière du jour ? Quel mauvais génie a donc fait la terre, si elle doit être pour jamais abandonnée à l’injustice et à la servitude ?

— Le règne de la paix et de la liberté approche, dit une voix douce.

— Arvins, étonné, releva la tête ; c’était Nafel.

— Vous ici ! s’écria-t-il… Avez-vous donc aussi conspiré contre les oppresseurs ?…

— Non, répondit l’Arménien ; ils m’ont condamné aux bêtes uniquement parce que j’adore un dieu tel que vous le désiriez tout à l’heure.

— Que voulez-vous dire ?

— Je suis chrétien.

Arvins regarda Nafel avec curiosité. Il avait plusieurs fois entendu prononcer ce nom de chrétien avec mépris : c’était, disait-on, la religion des criminels et des misérables ; une fable venue de Judée qui avait séduit les derniers du peuple, comme tout ce qui est nouveau.

— Si ton dieu est bon, dit le fils de Norva, il est donc sans puissance, puisqu’il vous abandonne à vos ennemis ?