Page:Souvestre - Un philosophe sous les toits, 1854.djvu/214

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Je demeurai quelque temps plongé dans cette espèce d’évanouissement du premier sommeil ; enfin quelques sensations vagues et interrompues le traversèrent. Il me sembla que le jour s’obscurcissait… que l’air devenait plus froid… J’entrevoyais des buissons couverts de ces baies écarlates qui annoncent l’hiver… Je marchais sur une route sans abri, bordée, çà et là, de genévriers blanchis par le givre… Puis la scène changeait brusquement… J’étais en diligence… la bise ébranlait les vitres des portières ; les arbres chargés de neige passaient comme des fantômes ; j’enfonçais vainement dans la paille broyée mes pieds engourdis… Enfin la voiture s’arrêtait, et, par un de ces coups de théâtre familiers au sommeil, je me trouvais seul dans un grenier sans cheminée, ouvert à tous les vents. Je revoyais le doux visage de ma mère, à peine aperçu dans ma première enfance, la noble et austère figure de mon père, la petite tête blonde de ma sœur enlevée à dix ans ; toute la famille morte revivait autour de moi ; elle était là, exposée aux morsures du froid et aux angoisses de la faim. Ma mère