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Page:Spencer - La Science sociale.djvu/131

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ni la difficulté de garder cette immobilité qu’elle exige. Elle conçoit la conscience de son enfant dans les conditions de la sienne, et sentant combien il est facile de s’asseoir, de se tenir tranquille et de ne pas regarder par la portière, elle attribue la conduite du baby à une méchanceté pure.

Je rappelle cet exemple et des exemples analogues à l’esprit du lecteur, pour lui faire apprécier une nécessité et une difficulté. La nécessité consiste en ceci : lorsque nous avons affaire aux autres et que nous interprétons leurs actes, nous sommes obligés de nous représenter leurs sentiments et leurs actions dans les conditions des nôtres. La difficulté vient de ce qu’en nous les représentant ainsi, nous ne pouvons jamais être tout à fait dans le vrai, et que souvent nous tombons tout à fait dans le faux. La conception qu’une personne se forme de l’esprit d’une autre est toujours plus ou moins sur le modèle de son propre esprit — elle est automorphique ; et évidemment plus l’esprit dont cette personne doit se faire une idée diffère du sien, plus cette interprétation automorphique a chance d’être éloignée de la vérité.

Mesurer les actions d’un autre avec l’étalon fourni par nos propres idées et nos sentiments personnels est une occasion et souvent une cause d’erreur ; il n’est personne qui ne l’ait souvent remarqué. Entre membres d’une même société, présentant de grandes analogies de nature, les explications automorphiques sont fréquemment erronées ; tout le monde comprend cela. Mais combien plus erronées sont en général ces explications lorsqu’il s’agit des actions d’hommes appartenant à une autre race et n’ayant avec nous qu’une parenté de nature comparativement éloignée.

Nous nous en apercevons, à la vérité, quand l’interprétation n’est pas de nous et que l’état mental de l’interprète comme celui de l’interprété n’ont rien de commun avec le nôtre. Ainsi, quand nos vieux auteurs anglais conçoivent le monde grec dans les conditions du régime féodal et travestissent les héros de l’antiquité en princes, en chevaliers et en écuyers, il devient évident à nos yeux que leur temps se faisait les idées les plus fausses de la civilisation antique. Quand nous lisons dans les pieux récits du moyen-âge que Virgile était au nombre des prophètes qui visitè-