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Page:Spenlé - Novalis.djvu/103

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UN SUICIDE PHILOSOPHIQUE

Hymne à la Nuit de Novalis. La Nuit ce sont toutes les « latences » ignorées de la conscience normale, les facultés magiques d’intuition et d’évocation qui se révèlent à l’homme dans l’extase somnambulique. « Quelle source de mystérieuse prescience » chante le poète « jaillit sous mon cœur[1] et engloutit la brise molle de la tristesse ? As-tu aussi des entrailles humaines. Nuit obscure ? Que caches-tu sous ton manteau, quel invisible aimant qui attire mon âme ? Ta vue n’inspire qu’effroi, — cependant un baume divin s’égoutte en rosée de tes mains, de ta gerbe de pavots. Dans une douce ivresse tu soulèves les ailes de l’âme et tu nous apportes des joies, ténébreuses et ineffables, et furtives aussi, comme toi-même tu es furtive, des joies qui ont l’avant-goût du ciel. » Car c’est là, pour le mystique et pour l’occultiste, la signification profonde de l’extase somnambulique : elle est une mort anticipée et la preuve expérimentale de l’immortalité de l’âme, ou tout au moins de sa spiritualité. Ce que l’extase commence dès à présent, la mort l’achève définitivement : l’extériorisation complète, la désincarnation de l’homme intérieur et spirituel. « Notre sphère d’activité dans la vie future », lisons-nous chez l’occultiste déjà cité, « sera identique à notre sphère d’activité magique dans la vie présente. »[2]

Un des caractères de l’extase, les plus fréquemment observés par tous les mystiques, ce sont les sensations ineffablement voluptueuses, les joies paradisiaques qui accompagnent ou suivent cet état. Il se produit une « idiosyncrasie » tout-à-fait particulière d’émotions mystiques et d’excitations voluptueuses, le plus souvent, sexuelles, au moins par le ton qu’elles affectent. Les Hymnes à la Nuit et certains fragments de Novalis nous en fournissent maint exemple. « On

  1. On a fréquemment observé que c’est dans le creux de l’estomac, dans la « Herzgrube », que les somnambules localisent le centre de leur vie sensitive dans l’état d’hypnose. Voir, par exemple, G. H. Schubert, Die Symbolik des Traumes, Bamberg, 1814, p. 105. « Tous les objets que le somnambule veut contempler de plus près, il a coutume de les porter à cet endroit, comme nous faisons pour l’œil à l’état ordinaire. »
  2. Du Prel, op. cit., Tome I, p. 86.