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Page:Spenlé - Novalis.djvu/107

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UN SUICIDE PHILOSOPHIQUE

allusion à l’opium, dont la préparation se fait avec les graines du pavot, lorsque, dans le premier hymne à la Nuit, Novalis parle du « baume divin » qui s’égoutte « de la gerbe de pavots » et lorsque, dans le second hymne, il découvre une source d’ivresse et de sommeil, connue des seuls « initiés », dans « l’essence miraculeuse de l’amandier, dans le suc brunâtre du pavot. » Et assurément on trouverait plus d’une secrète analogie entre certains états mentaux décrits dans les Hymnes à la Nuit et le délire « thébaïque » provoqué par l’opium, avec les commencements d’hallucination, l’inconscience des lieux et du temps, la vivacité délirante de l’imagination, les accès soudains d’exhilaration et de bien-être qui l’accompagnent. « Les facultés intellectuelles s’exaltent et, malgré les images qui passent devant les yeux, le jugement et la raison sont parfaitement sains. »[1]

Le troisième hymne est précisément la transcription d’un de ces accès de « joie délirante »[2] et de vision extatique dont Novalis parle à diverses reprises dans son Journal. Il en a lui-même noté scrupuleusement les symptômes et les péripéties. Par un après-midi du mois de mai, lisons-nous, « le temps se troubla, d’abord de l’orage, puis des nuages, de l’ouragan ; — surexcitation érotique : je me mis à lire dans Shakespeare et me perdis dans cette lecture. Le soir j’allai chez Sophie. Je fus inexprimablement joyeux. Des éclairs d’enthousiasme. Je fis voler en poussière la tombe à mes pieds. Des siècles passaient comme des instants. Sa présence était sensible : il me semblait qu’elle allait apparaître d’un moment à l’autre. »[3] On trouverait le commentaire psychologique de ces quelques lignes dans un fragment philosophique du poète, où il apparaît clairement, que ces crises extatiques constituaient chez lui un symptôme familier. « Le préjugé le plus arbitraire », dit-il, « veut que

  1. Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales — Article « opium » déjà cité.
  2. Hier soir, je me rendis à la tombe et j’eus quelques accès de joie délirante, lisons-nous par ex., I, p. 275.
  3. C’est la journée du 13 mai, N. S. I, p. 274.