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Page:Spenlé - Novalis.djvu/130

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NOVALIS

Le vieux maître de Kœnigsberg, l’auteur de la Critique de la Raison pure, se sentait quelque peu dépaysé devant ces procédés de discussion nouveaux et surtout, devant ce « ton tout-à-fait distingué » (der vornehme Ton), qui commençait à s’accréditer dans la philosophie. Il en manifesta même quelque dépit. « Kant n’est pas à la hauteur », écrivait Novalis à ses correspondants romantiques.

Cette toute-puissance du moi est un fait d’expérience intime. N’est-elle pas contredite par l’expérience externe ? Ici la philosophie romantique du démiurge prenait un caractère tout particulièrement « affirmatif ». La conception d’une réalité extérieure et indépendante est une illusion funeste, à laquelle il faut de parti-pris refuser toute créance. « La croyance à la réalité des éléments est la plus dangereuse des chimères », disait Novalis. Le monde extérieur n’a de réalité que celle que lui communique notre pensée, par un acte de détermination spontané. Cet acte échappe, il est vrai, à la conscience commune, incapable de réflexion profonde sur elle-même, comme fascinée par le mirage extérieur qu’elle-même a inconsciemment provoqué ; mais il n’échappe pas au regard plus pénétrant et tourné vers le dedans du philosophe idéaliste. Pourquoi donc le démiurge humain, — concluaient les romantiques, — se mettrait-il à la longue et pénible école de l’expérience ? Que lui apprendrait-elle dont il n’ait déjà l’intuition et qu’il ne puisse produire comme du dedans ? À vrai dire le génie dicte ses lois au monde. Si, par impossible, le génie et l’expérience n’étaient pas d’accord, tant pis pour l’expérience ! « Ce qu’il y a de meilleur dans le système du médecin Brown », observait Novalis, « c’est l’assurance étonnante avec laquelle il donne son système comme universellement valable, il faut que les choses se passent ainsi, l’expérience et la nature diront ce qu’elles voudront. En cela réside l’essentiel de tout système, sa vraie force probante… Plus est grand le mage, plus est arbitraire son procédé, sa formule, son instrument. Chacun fait des miracles à sa manière ». Et il ajoutait : « Fichte en a