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Page:Spenlé - Novalis.djvu/139

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L’INTUITIONNISME

titule elle-même philosophie de la Nature et qui s’imagine surpasser toute philosophie du passé parce qu’elle identifie la Nature à l’Absolu et s’efforce de la diviniser. De tous temps aussi bien les errements spéculatifs que les dépravations morales de l’humanité ont pris leur point d’appui dans la même erreur, c’est qu’on profanait le nom de l’Être et de l’Existence véritables, en les attribuant à ce qui n’Est ni n’Existe en soi-même, c’est qu’on cherchait la vie et la jouissance de la vie dans ce qui ne renferme en soi que la mort. Ainsi donc cette philosophie, bien loin de marquer un progrès vers la vérité, est un retour vers une des erreurs les plus vieilles et les plus répandues. »[1]

Et puis surtout la philosophie de Fichte était profondément inesthétique. Elle l’était, non seulement par sa dialectique, toute d’abstraction, qui systématiquement détournait la pensée du monde des réalités concrètes, en sorte que la Raison était définie « un pouvoir absolu d’abstraction » ; — elle était inesthétique non seulement par l’autoritarisme moral de son auteur, par le désir qu’il avait de convaincre les gens à tout prix, de leur imposer ses croyances comme un acte de foi nécessaire, par la préoccupation sans cesse apparente, sous le ton oratoire et doctrinaire, d’exercer une action sur son temps et de fournir sur Dieu, l’âme, le monde, sur des sujets réellement obscurs ce qu’il appelait « un rapport clair comme le soleil » ; mais surtout elle paraissait inesthétique par son intention moralisatrice qui n’aboutissait à rien moins qu’à l’annihilation de l’art tel que l’entendaient les romantiques, — à une sorte d’esclavage moral de la poésie. « Le moi, disait Fichte, est activité pure, il n’existe que dans la mesure où il agit ». De quelle activité parlait-il ? Évidemment de l’effort volontaire et moral. Le moi, dans la Doctrine de la Science, progresse toujours ; il n’existe que parce qu’il progresse et en vue d’un nouveau progrès. Il n’a ni le temps de se reposer ni la per-

  1. Ibid., — pp. 78 et 79.