Aller au contenu

Page:Spenlé - Novalis.djvu/152

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
144
NOVALIS

Cependant ce n’est encore là pour la philosophie qu’un « problème », qu’un « idéal ». Comment résoudre ce problème, comment atteindre cet idéal ? Comment réaliser la conscience véritable ? Par l’extase ? Novalis l’a cru quelque temps et il reprochait à Fichte de n’avoir pas suffisamment approfondi ce mystère. « Sans extase, sans une conscience fascinatrice, qui nous tient lieu de tout le reste, c’est une piètre chose que la philosophie », disait-il dans un fragment déjà cité.[1] Mais l’extase est un état trop fugitif, trop instable, situé trop en dehors de notre conscience normale, un miracle isolé dans la vie de l’esprit. — Par la pensée philosophique ? Prenant pour guide la méthode d’abstraction mystique, préconisée par Fichte, le jeune philosophe s’efforce de surprendre, par une réflexion de plus en plus profonde, en faisant le vide et l’obscurité dans sa conscience, le sujet identique et « pur » de la connaissance. Vains efforts ! Celui-ci se dérobe sans cesse. L’œil est fait pour voir la lumière et le monde, non pour contempler les ténèbres. Et que servirait-il d’imaginer un second œil derrière le premier, pour voir celui-ci et l’observer ? Le problème ne serait que reculé. Successivement Novalis essaie de définir le moi absolu par le sentiment, par la pensée, par l’activité : mais il se heurte toujours à un « donné » préalable qu’il ne peut éliminer. « Ici, dit-il, la philosophie s’arrête et doit s’arrêter ; car en cela précisément consiste la vie, c’est qu’elle ne peut être comprise. »[2]

Est-ce à dire que la philosophie soit inutile ? Nullement. Elle est l’universel dissolvant qui entame tous les partis-pris et dissipe les fausses lueurs, les fausses certitudes. Elle initie l’homme à l’universelle relativité des points de vue, affranchit la pensée non seulement des traditions extérieures, mais aussi de ses propres habitudes, de l’automatisme doctrinaire et scolastique qui finirait par l’étouffer. Elle disloque les points fixes, les attitudes figées, pour libé-

  1. N. S. II, 1, p. 199.
  2. Voir la dissertation intitulée « Sur le Moi, — N. S. II. 2, p. 620.