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Page:Spenlé - Novalis.djvu/154

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NOVALIS

à l’homme que le choix entre deux espèces d’illusions. Ou bien il affirme, en prenant pour seuls informateurs ses sens corporels, la réalité absolue de ce monde, changeant, inconsistant, illusoire : mais à vrai dire le visible n’est que mensonge si nous croyons y voir l’Être lui-même. Ou bien il affirme par la Foi la réalité d’un monde invisible et idéal : mais c’est un idéal en lui-même irreprésentable, une Vérité informulable, une Essence à qui manque l’existence véritable, la manifestation directe et adéquate de sa perfection. La pensée planerait ainsi, éternellement suspendue entre les deux grandes Illusions, le monde visible et l’univers invisible, si l’homme ne découvrait en lui une source originale de production et d’intuition qui, par ses racines, plonge jusque dans son essence métaphysique et apporte la manifestation directe du monde de la Foi dans le monde des Apparences, cette illusion éminemment positive et productrice c’est l’art.

Ici, dans le monde de la poésie, l’illusion est devenue vérité. Peut-on même encore parler d’illusion, dans le sens ordinaire, lorsque l’image n’est plus rapportée à aucun objet extérieur, lorsqu’elle n’est plus le représentant d’une réalité ou d’une pensée étrangères ? Ce serait un contre-sens que de chercher chez Novalis une conception théorique de l’univers ou une philosophie pratique de la vie. Ce sont là, à ses yeux, des points de vue subalternes. Seul le mystère de la création artistique l’intéresse, parce qu’il manifeste directement cette spontanéité productrice dont la nature est une première ébauche. Ce qui par l’art nous est donné de prime-abord, ce ne sont point les éléments d’un problème à résoudre, théorique ou pratique, — mais la solution elle-même, miraculeusement anticipée dans un exemplaire typique. L’art n’est pas justiciable de la vie et de la nature, — mais inversement la vie et la nature sont justiciables de l’art et doivent être interprétées par lui : tel est le paradoxe romantique. Le savant, l’homme d’action cherchent ; leur idéal est tendancieux, inexistant, illusoire, emprisonné dans des contradictions et dès l’abord frappé de dé-