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Page:Spenlé - Novalis.djvu/160

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NOVALIS

Mais il ne suffit pas à l’idéaliste romantique que l’artiste perçoive différemment le monde extérieur, il faut encore qu’il perçoive une « autre » réalité que celle de la perception commune, qu’il révèle un monde supérieur et occulte. C’est là un point capital de l’esthétique romantique. « Le sens de la poésie », disait Novalis, « est proche parent du mysticisme ; c’est le sens de ce qui est original, personnel, occulte, mystérieux, de ce qui doit être révélé, du miracle nécessaire. Le poète représente l’irréprésentable, il voit l’invisible, il touche l’impalpable. » Déjà Fichte avait préparé cette psychologie mystique du génie, lorsqu’il définissait ce dernier « une révélation surnaturelle de l’idée divine ».[1] En s’appropriant cette définition les romantiques en accentuèrent encore le côté mystique et paradoxal. « Le poète », disait Novalis, « est véritablement privé de conscience (sinnberaubt) ; le sens poétique a beaucoup de rapports avec le sens prophétique et le sens religieux, avec le délire en général. Le poète ordonne, combine, choisit, invente et lui-même ne se rend pas compte pourquoi il agit de la sorte et non autrement. » Essayons de préciser cette théorie singulière.

Elle repose sur une interprétation métaphysique de phénomènes psychologiques qui commençaient, vers la fin du 18me siècle, à frapper vivement les imaginations, — les phénomènes de somnambulisme ou, comme disait Novalis, du « galvanisme de l’esprit. » Nous verrons plus loin, — quand nous nous trouverons en présence des physiciens romantiques, — quelles influences ont fait pénétrer cet ordre de recherches dans les cercles romantiques. Qu’il nous suffise, pour l’instant, d’indiquer à grands traits la théorie psychologique et métaphysique du génie créateur, que les romantiques, et particulièrement Novalis, ont construite sur ces prémisses.

« Nous avons deux systèmes de sens », lisons-nous dans un fragment, « qui, si différents qu’ils paraissent, sont cepen-

  1. Fichte. — Ueber das Wesen des Gelehrten, Édit. Reclam, p. 88 et suiv.