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Page:Spenlé - Novalis.djvu/192

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NOVALIS

assis sur les marches du temple, en attendant la venue du Maître et l’initiation prochaine. Le disciple peut observer à présent de plus près leurs attitudes et épier leurs entretiens. Voici d’abord les pessimistes, les découragés. Ils ne savent pas la secrète correspondance qui fait que la nature renvoie à chacun sa propre image, simple et féerique pour les enfants, cruelle et farouche pour les inhumains, souriante et fleurie pour les amants et les poètes. Un rêve de tristesse s’est appesanti sur leur cœur et communique à ce qui les entoure sa teinte morose et funèbre. À quoi bon chercher ? Le fond obscur nous échappe toujours. Le monde n’est qu’un charnier, « un moulin de la mort ». L’heure sonnera sans doute un jour « où tous les hommes, par une grande résolution prise en commun s’arracheront à l’épouvantable geôle et, renonçant volontairement à leurs possessions terrestres, délivreront leur descendance de cette vie de misère et se réfugieront dans un monde plus fortuné, dans le sein de leur Père primitif. » — Mais voici un autre groupe, plus entreprenant. Ce sont les alchimistes. Ils ont surpris le jeu des forces secrètes de l’univers et ils entretiennent une lutte audacieuse contre les éléments. « Il faut que nous cherchions à atteindre la nature par des poisons insinuants… Courage ! Emparez-vous des liens cachés, éveillez dans la nature la convoitise d’elle-même. Utilisez ses discordes afin de la diriger selon votre bon plaisir, comme le taureau aux naseaux ardents ». — Et puis voici le groupe des spéculatifs, fabulistes ou théosophes. « Nous sommes assis à la source de la spontanéité et nous épions : c’est le grand miroir magique devant lequel vient se dévoiler, pure et translucide, la création entière. C’est là qu’elle retrempe les archées et les copies de toutes les natures et nos yeux contemplent les celliers grands ouverts. » — Enfin apparaît, dans son orgueil titanesque, l’idéaliste moderne, le démiurge moral de Fichte. La nature n’est qu’une fiction, produite par le Moi tout-puissant, elle est la matière sur laquelle s’exerce l’activité moralisatrice de l’homme. « L’ac-