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Page:Spenlé - Novalis.djvu/201

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PHILOSOPHIE DE LA NATURE

où vient se briser sa conscience individuelle ; — synthétique, parce que cet objet doit lui révéler en même temps, au-dedans de lui-même, une réalité intime, et établir un rapport nouveau avec la vie universelle.

C’est le rôle de la poésie de populariser cette intuition symboliste et religieuse de la nature. Ce que le Sage est à l’Enfant, le Poète l’est à la Nature. Il lit dans ses traits naïfs, épiant les secrètes similitudes. Dans le langage confus des éléments il perçoit une âme cachée. Il comprend la vie agitée et inquiète de l’animal, les rêveries capricieuses du monde végétal, le sommeil lourd des choses, chargé d’inexprimables désirs, et la supplication muette des êtres, qui attendent les intuitions lucides, les paroles fatidiques et libératrices. Sous le mirage des métamorphoses sans nombre il surprend la force invariable du désir et de l’amour. Une virtuosité native lui permet de mêler un peu de sa substance à tous les êtres. Il ne s’isole pas dans son moi hautain : devant les plus humbles manifestations de la vie, il se reconnaît et sait dire, selon la belle expression de Schopenhauer : « moi encore une fois ». Et c’est aussi cet idéal d’universelle sympathie que célèbre la Nature, dans le temple de Saïs, lorsqu’après le départ des voyageurs s’élèvent de toutes parts des voix harmonieuses et plaintives. À ce rêve l’homme s’oppose encore. Il a brisé l’alliance primitive : au lieu de rester un organe inspiré de la vie universelle, il s’est refermé sur lui-même, il a fait de son sens intime une conscience égoïste, un empire clos. Il a cessé d’être « une voix accompagnatrice, un mouvement dans le chœur », selon le mot de Novalis, qui reprend une image familière à Plotin. — Qu’il apprenne de nouveau à « sentir » la nature, qu’il rentre dans l’universelle symphonie. Heureux dès à présent les initiés, les simples et les aimants qui savent, sans arrière-pensée, recevoir et se donner, qui éprouvent dans leur cœur ce commerce quotidien. « Leur vie déborde de jouissances ; elle est une succession ininterrompue de voluptés et leur religion c’est le véritable et pur naturalisme. »