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Page:Spenlé - Novalis.djvu/27

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ÉDUCATION

gen » et dont le seul titre trahissait déjà les tendances subversives. Or le baron flairait en chaque littérateur un oisif et un libre-penseur, c’est-à-dire un homme de peu de chose ou de rien. Il fit part de ses inquiétudes à un de ses amis d’Iéna, le conseiller Schmid, qui s’entremit auprès de Schiller, afin que l’auteur involontaire du mal y portât lui-même remède. Le grand poète appela son jeune admirateur, et avec de paternelles remontrances, fit valoir la nécessité, surtout pour l’aîné d’une nombreuse famille, d’une carrière régulière, montrant que même l’étude du droit comportait quelque intérêt et qu’avant d’instruire l’humanité il serait sage peut-être d’avoir soi-même appris quelque chose. Malgré l’excellence des conseils et le réel sérieux des engagements pris, une transplantation parut indispensable et dès octobre 1791[1] le jeune Frédéric, bientôt rejoint par son frère cadet Erasme, émigra à l’université de Leipzig, pour y suivre des cours de droit, de mathématiques, et de philosophie. Une main austère avait rayé les belles-lettres du programme. Mais le baron comptait sans les artifices du Malin qui, dans la personne de Frédéric Schlegel, apparut de nouveau sur le chemin de son fils.

Frédéric Schlegel accomplissait à Leipzig ce qu’il appelait « les années d’apprentissage de la virilité ». Petit, mais bien fait, ni beau ni gracieux du reste, le teint mat, la physionomie vive, les cheveux coupés ras autour du front, sans poudre ni perruque, avec dans le costume une certaine nonchalance recherchée, il avait quelque chose de très « moderne » et, selon le mot de Schleiermacher, de tout-à-fait « gentleman ». Il complétait ses études helléniques, commencées à Gœttingen sous les auspices du philologue Heyne, par des recherches plus spéciales sur les caractères féminins et,

  1. C’est la date donnée par Haym, alors que Tieck et Dilthey retardent d’un an l’arrivée à Leipzig du jeune étudiant. La question a été tranchée par Raich (Novalis Briefwechsel, op. cit. p. 18, note 2) qui a contrôlé sur les registres de l’université les dates d’inscription de Frédéric von Hardenberg. Son frère Érasme le rejoignit en mai 1792