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Page:Spenlé - Novalis.djvu/306

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NOVALIS

à Gœthe cachaient plus d’une pointe perfide à son adresse. Désormais Gœthe apparut connue la conscience supérieure des générations qu’il traversait. Mais aussi comme il savait se faire tout à tous ! La nouvelle école cherchait une alliance de la philosophie, de la critique, des sciences de la nature et de la littérature : partout elle trouvait Gœthe d’abord. On sentait en lui un panthéisme implicite, une philosophie non vraiment abstraite et réfléchie, mais une sagesse toute vivante et agissante. Les romantiques portèrent leur curiosité vers le passé germanique : Gœthe les y avait précédés. Il encourageait Tieck et Aug. Wilh. Schlegel dans leurs études sur la poésie espagnole. Nul exotisme ne l’effrayait : le jour n’était pas loin où il allait mêler à sa poésie quelques roses d’Orient, toujours avec une mesure, une maîtrise, une « ironie » souveraines. Un des premiers aussi il avait pressenti que la culture scientifique, loin de stériliser les activités poétiques, pouvait leur donner un aliment nouveau, que l’étude de la nature et de sa technique incomparable était la plus instructive des esthétiques pour l’artiste sincère et consciencieux. Lui-même avait frayé la voie. Apportant dans ses recherches d’histoire naturelle une curiosité très pénétrante, très souple, franche de tout appareil pédantesque, guidée seulement par de géniales intuitions, il n’avait sans doute pas réussi à se concilier les suffrages des spécialistes ; mais sa poésie en avait reçu comme une consécration plus haute et une signification cosmique : on eût dit que la Nature même parlait par la bouche de Gœthe. Aussi Novalis l’appelait-il « le premier physicien de son temps » et il définissait très justement son « empirisme actif », en observant que « chez lui tout est en acte ce qui n’est chez les autres que tendance. Il exécute réellement, alors que d’autres se bornent à rendre une chose possible ou nécessaire… Sur lui on peut étudier la faculté d’abstraire en un jour nouveau. Il abstrait avec une rare précision, mais non sans construire en même temps l’objet auquel répond l’abstraction. »