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Page:Spenlé - Novalis.djvu/321

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HENRI D’OFTERDINGEN

sation moderne, où fleurissent les arts, les sciences, la prospérité matérielle, une ère romantique, profondément inspirée, est descendue sur terre. »

Dans l’intérieur d’un artisan modeste un évènement insignifiant en apparence s’est produit : une âme s’est ouverte à l’idéalisme romantique, un poète vient de naître. « Les parents reposaient déjà et dormaient. On n’entendait que le battement monotone de la pendule et la rafale, qui grondait au dehors et secouait les vitres. Parfois la chambre s’éclairait d’un brusque rayon de lune. Le jeune homme s’agitait sur sa couche et repassait dans son cœur les récits de l’Étranger. « Ce ne sont point les trésors qui ont éveillé en moi cette indicible convoitise, se disait-il ; loin de moi est toute cupidité. Mais j’aspire dans mon cœur à contempler la Fleur bleue. Elle ne me sort pas de l’esprit et je ne puis m’arrêter d’en rêver ou d’y penser. Jamais je n’ai senti ce que j’éprouve aujourd’hui. Il me semble avoir vécu comme en songe jusqu’à présent, ou encore je me vois transporté en rêve dans un monde tout autre : car dans celui où je vivais auparavant, qui se serait soucié d’une fleur ? Surtout d’une passion si bizarre, jamais je n’avais encore entendu parler. »

Cependant à l’insomnie, avec ses illusions fiévreuses, succède un assoupissement de plus en plus profond. Avec, beaucoup de finesse l’auteur décrit les couches successives de la vie du rêve. Ce sont d’abord quelques sensations organiques diffuses qui dirigent secrètement la féerie nocturne. Henri d’Ofterdingen se voit transporté dans une grotte fantastique, éclairée dans son milieu par un jet d’eau lumineux, qui retombe en paillettes de feu au fond d’un immense bassin. Une envie irrésistible le prend de se baigner. Après s’être dévêtu et plongé dans l’élément liquide, dont le contact voluptueux évoque en lui des images lascives, il se laisse entraîner peu à peu par le torrent dans le cœur même de la montagne. À présent le rêve change de caractère. « Les rêves intuitifs », dit Maine de Biran,