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Page:Spenlé - Novalis.djvu/358

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NOVALIS

Ou plutôt, nous entrons à présent dans un rêve, mais dans un rêve plus profond et plus vrai que la réalité : c’est, l’intuition philosophique que le romancier doit rendre de plus en plus consciente et réfléchie. Il ne saurait à cette occasion se lasser d’explorer les analogies profondes entre notre vie et le rêve. « Dans le rêve », observe Schopenhauer. « les circonstances qui motivent nos actes se présentent comme des faits extérieurs et indépendants de notre vouloir, souvent même comme des évènements haïssables et tout-à-fait fortuits. Mais en même temps se découvre entre eux une connexité mystérieuse et nécessaire, en sorte qu’une puissance cachée semble diriger le hasard et combiner tout particulièrement ces évènements à notre intention. Chose curieuse ! en dernière analyse cette puissance combinatrice ne peut être autre que notre propre volonté, mais aperçue d’un point de vue qui n’est plus situé dans la conscience du rêveur. De là vient que les péripéties se dénouent souvent contrairement à nos propres désirs, ou même nous plongent dans des angoisses mortelles, sans que le destin, dont nous tenons cependant les fils cachés, vienne à notre secours. C’est ainsi que nous nous informons avec curiosité d’une chose et recevons une réponse qui nous remplit d’étonnement, — ou bien des questions nous sont adressées (dans un examen par exemple), auxquelles nous sommes incapables de répondre, tandis qu’un autre personnage, à notre grande confusion, fait la réponse demandée : et cependant, dans l’un et l’autre cas, la réponse n’a pu être tirée que de notre propre fonds. »[1]

À ce point de vue supérieur, qui est celui de l’ironie romantique, se placera également le romancier. De là les destinées individuelles, avec leurs angoisses et leurs conflits, ne lui apparaîtront plus que comme des problèmes « illusoires », comme un rêve que se donne à lui-même le démiurge créateur et dont il tient lui-même les fils secrets. En

  1. Schopenhauer, Parerga und Paralipomena, Edit. Reclam. — Werke IV, p. 248.