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Page:Spenlé - Novalis.djvu/363

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HENRI D’OFTERDINGEN

Mais survient tout à coup le poète romantique, qui agite pêle-mêle toutes ces savantes formules, en un imbroglio fantastique. Et voici que la conception d’art change brusquement du tout au tout. « Des récits incohérents — lisons-nous dans un autre fragment — avec cependant des associations d’idées, pareilles à des rêves. Des poèmes purement sonores, remplis de mots harmonieux, mais dépourvus de sens et de liaison ; — de-ci de-là quelques strophes à peine intelligibles, comme des fragments épars où se trouvent rassemblées pêle-mêle les choses les plus étranges. La vraie poésie doit offrir tout au plus un sens allégorique général et agir indirectement comme la musique. »[1]

Ici apparaît particulièrement le rôle artistique du « Mærchen ». — « Un Mærchen est incohérent comme une vision de rêve, — un ensemble de choses et d’évènements extraordinaires, par exemple une fantaisie musicale, les suites harmonieuses d’une harpe éolienne, — bref la nature en personne. »[2] De même que le démiurge de la nature varie à l’infini quelques types fondamentaux, produisant pêle-mêle, en des exemplaires innombrables, les combinaisons les plus étranges et les plus extravagantes, — pareillement le romancier grâce au « Mærchen » rétablit provisoirement une période d’anarchie féerique, où se préparent, par une déformation bizarre et fantastique de la réalité, les combinaisons les plus neuves et les plus imprévues. On se rappelle les « Mærchen » enchâssés dans Henri d’Ofterdingen. Ce sont des impromptus fantastiques qui subitement, par un coup de baguette magique, font dévier la progression régulière du récit, empêchent une combinaison trop particulière de se fixer, détachent l’esprit du lecteur de la réalité matérielle des évènements racontés, pour l’élever dans la région du rêve pur. Les personnages qui figurent dans ces contes devaient reparaître dans la suite, comme des êtres non plus fictifs mais réels. À vrai dire cette opposition même est il-

  1. N. S. II, 1, p. 279.
  2. N. S. II, 1, p. 186.