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Page:Spenlé - Novalis.djvu/69

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AMOUR MYSTIQUE

prédicateur visionnaire de Zurich, l’incorrigible dupe de tous les mystificateurs de son temps. Il n’était merveille que celui-ci ne racontât des extraordinaires facultés corporelles et spirituelles de l’homme régénéré : le pouvoir de parler toutes les langues, de restaurer des membres perdus, lui paraissaient des faits vulgaires et d’usage courant ; il prévoyait le temps ou par un simple acte de volonté l’homme organiserait des plantes, appellerait à la vie des animaux et des êtres humains.[1]

Malheureusement la méditation de Fichte, continuée en un temps si inopportun, loin de calmer cette agitation fiévreuse lui fournit encore une sorte de justification théorique. Avec l’idéalisme intégral du philosophe allemand Novalis se construisait un idéalisme magique, à son usage personnel, où les croyances piétistes au miracle et au surnaturel se combinaient avec la conception du Moi absolu, créateur de toute réalité. Pour lui s’accomplissait ce qu’avait prédit Frédéric Schlegel dans sa critique de Woldemar : sa vie intellectuelle et sa vie sentimentale se trouvaient trop inextricablement confondues ; saurait-il encore à l’heure fatale opérer un juste départ entre les deux et, dans l’écroulement de l’une, sauvegarder l’intégrité de l’autre ? Il se comparait à un joueur désespéré qui voit, impuissant, se dérouler une partie, où se joue ce qu’il a de plus cher au monde, un joueur « dont toutes les chances sont suspendues à ce fait unique, qu’un pétale tombera dans ce monde-ci ou dans l’autre ».

Le pétale tomba dans l’autre monde. Le 19 mars 1797, Sophie von Kühn mourut au milieu d’atroces souffrances, à peine âgée de quinze ans. « Il était au-dessus de mes forces », écrit-il, « d’assister impuissant aux luttes effroyables de cette jeunesse moissonnée dans sa fleur, aux angoisses épouvantables de la céleste créature… Le soir s’est fait autour de moi et il me semble que je vais bientôt partir, c’est

  1. Voir Lavater, Aussichten in die Ewigkeit, 1770. II, p. 225 et suiv.