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NOVALIS

même la vie qu’il veut ? Les puissances qui donnent la vie ou la mort sont donc en son pouvoir, pour peu que sa foi soit persévérante, que son attention et sa volonté ne faiblissent pas, que son imagination se passionne et s’exalte. Là est le secret de la magie véritable, de la morale mystique et géniale. — Mais qu’arrivera-t-il si son désir a pris une envolée tellement haute que les réalités normales de la vie ne puissent plus le satisfaire ? Ou encore, ce qui revient au même, si l’objet plus ou moins imaginaire de son désir lui a été ravi et ne peut plus se rencontrer parmi les réalités du monde terrestre ? Alors, obéissant, à son impulsion fondamentale, il peut, il doit abolir en lui la vie terrestre, dans ses manifestations corporelles ; il entreprendra sur lui-même une sorte de « suicide philosophique », d’auto-suppression, de désincarnation volontaire : la mort est devenue sa destinée, sa vocation. Tel est, sous une forme raisonnée, le problème moral qui allait se débattre dans l’âme du poète, l’aboutissement de ce « morbus mysticus » dont nous avons vu apparaître chez lui les symptômes biologiques.

« Il y a une consolation si unique », observe un autre malade, Nietzsche, « à affirmer par la souffrance un monde plus vrai et, plus profond que tout autre monde ! On préfère de beaucoup souffrir et se sentir ainsi élevé au-dessus de la réalité — dans le sentiment de se rapprocher de ce monde plus profond et plus vrai, — que de n’avoir plus de souffrance et en même temps d’être privé de ce sentiment de sublimité morale. »[1] Telle est aussi l’expérience qui fait la matière du Journal intime de Novalis. Dans le deuil qui venait de le frapper, celui-ci crut reconnaître l’événement providentiel qui allait inaugurer un chapitre tout nouveau et plus particulièrement attachant de son roman intérieur, qui allait le mettre en possession de ce monde « plus profond et plus vrai », lui révéler cette souffrance divine, infiniment attrayante, où se trouve cachée en même temps

  1. Nietzsche, Morgenrœthe, p. 30.