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Page:Spenlé - Novalis.djvu/90

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NOVALIS

poser qu’elles puissent être froidement raisonnées, veulent être promptement exécutées. Trop de théorie empêche la pratique. « Avec le plus grand sang-froid et avec une âme sereine j’ai voulu quitter le monde », écrivait Novalis quelque temps après. Mais est-ce bien le moment de quitter volontairement la vie, quand on est entièrement réconcilié avec elle ? Aussi bien s’agissait-il moins d’un suicide dans l’acception vulgaire du mot, que d’un suicide « philosophique ». — « L’acte vraiment philosophique », lisons-nous dans un fragment, « c’est le suicide (Selbsttœdtung) ; voilà le principe de toute philosophie où tend l’aspiration du disciple philosophe. Seul cet acte répond à toutes les conditions et porte sur lui toutes les marques d’une activité transmondaine. »[1] Qu’est-ce à dire ?

C’est d’abord que l’homme supérieur — l’homme « haut » — doit rendre étrangère à la vie commune la partie meilleure de lui-même, la dégager des nécessités inférieures de l’existence. « Toute distinction mérite l’ostracisme. Il est bon qu’elle-même s’inflige cet arrêt. Toute existence parfaite doit être proscrite. Dans le monde il faut vivre avec le monde. On n’y peut vivre que de la pensée commune à tous ceux qui vous entourent. Ce qui est vraiment bon vient du dedans (le monde appelle cela le « dehors ») et passe avec la rapidité d’un éclair. Toute perfection supérieure aide au progrès du monde et doit en sortir prématurément. »[2] Mais ce n’est pas tout. En frappant d’ostracisme la partie essentielle de lui-même, par une concentration énergique de tout son être l’homme finit par découvrir un point de vue nouveau, transcendant, de l’autre côté de la vie. Il sent s’opérer une adaptation nouvelle ; des facultés inexplorées de vision et de spéculation se développent en lui. Là est le secret de la méthode d’abstraction mystique, qui est à l’origine de toute initiation supérieure, de tout « entraînement » théosophique. Tel est aussi

  1. N. S. II, 1, p. 101.
  2. Ibid. p. 101.