Aller au contenu

Page:Spenlé - Novalis.djvu/95

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
87
UN SUICIDE PHILOSOPHIQUE

ploiter ce précieux filon.[1] Or Frédéric Schlegel, qui n’avait pas quitté Berlin depuis près de deux ans, ne pouvait avoir eu sous les yeux les « papiers » de son ami que pendant le court séjour qu’il fit à Weissenfels, avant de s’établir à Berlin, en été 1797. Quelques-unes des idées qui inspireront les Hymnes à la Nuit se trouvaient donc déjà provisoirement esquissées. Dans une lettre de février 1799, Novalis établit un court parallèle entre la Lucinde de Frédéric Schlegel, qui venait de paraître, et une de ses propres œuvres, qu’il ne nomme pas. C’est étrange, dit-il en substance, comme l’amour a agi différemment sur Schlegel et sur moi. « Chez moi tout était composé dans le style d’église ou dans le style dorique. Chez lui tout est corinthien. À présent l’architecture bourgeoise est chez moi à l’ordre du jour. »[2] Ce qu’il entend par « architecture bourgeoise », il l’explique lui-même en parlant d’un projet de roman qui deviendra dans la suite le roman Henri d’Ofterdingen. Quant à l’expression de « style d’église », elle ne peut évidemment pas s’appliquer aux « hymnes spirituelles », puisqu’elles n’étaient pas encore composées. Il ne peut donc s’agir ici que des Hymnes à la Nuit. En opposant le « style d’église » de cette œuvre lyrique à l’« architecture bourgeoise » du roman projeté, le poète montre l’évolution qui, pour le fond comme pour la forme, était en train de s’accomplir dans son esprit.

Aussi semble-t-il qu’il ne faille pas assigner aux Hymnes à la Nuit une date bien déterminée, mais que cette « suite » poétique se soit formée par cristallisation, par la fusion de différents fragments successifs, dont les plus anciens remontent, au moins par l’inspiration première, à une époque assez voisine de celle où fut écrit le Journal — l’été et l’automne 1797 — tandis que les plus récents rejoignent presque

  1. Raich. op. cit. p. 130. La lettre est datée de mars 1799, mais le passage cité fait manifestement allusion à des événements déjà anciens et dont le souvenir est presque effacé.
  2. Raich., op. cit., p. 126.2